Wes Craven - Dossier

/ Dossier - écrit par Lestat, le 11/09/2004

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Dossier sur la filmographie de Wes Craven

Comparer un film d'horreur des années 60, 70 ou début 80 avec une production plus contemporaine révèle son lot de surprises. En ces temps-là, aux Etats-Unis, le soleil texan achevait de putréfier les charognes, macabres trophées d'un malade mental amateur de tronçonneuse. Et le bon plan drague de 82 s'appelait Evil Dead, tourné avec trois francs six sous par un petit prodige de 22 ans, un certain Sam Raimi. Rien de tel que des démons assiégeant une vielle cabane pour tenter de passer son bras autour de sa voisine, morte de trouille qu'elle est. Ne rigolez pas, prenez dix fans d'horreur ayant la quarantaine, vous en trouverez au moins deux qui ont rencontré leurs dulcinées devant les frasques de Bruce Campbell. Puis, sans parler du comico-gore, le film d'horreur s'est mis à faire moins peur, pour soudain se moquer de lui-même et s'adresser à un public plus jeune, tendance qui monta comme un soufflé et explosa au milieu des années 90 pour ne retomber que récemment, sous l'impulsion d'une poignée de films "à l'ancienne". C'était mieux avant ? Pas si sûr, car ça ne serait pas juste de dire que l'on passa subitement du tout au rien. Le film d'horreur pour teenager existe grosso-modo depuis les années 50 (Le Blob, I was a teenage Frankenstein). Des films au sous-genre un peu incertain, qui se contentent alors de mettre en scène des jeunes lycéens face à de quelconques monstruosités. Quant à l'humour, le mélange horreur et rire, bien qu'utilisé avec parcimonie, a toujours su faire bon ménage. Ce n'est que l'humour et les tendances, qui comme l'horreur, ont évolué vers quelque chose de plus en phase avec les modes et le public et, certes, pris petit à petit le pas sur les approches devenues trop adultes. Le réalisateur qui nous intéresse aujourd'hui a eu un pied dans ces deux époques et s'il s'adapta à l'une, il créa quasiment l'autre. Son histoire commence en Ohio, en 1939...

Quand on observe les trente ans de carrière de Wes Craven, on constate quelques beaux antagonismes. Craven est sans doute ce qui est arrivé de mieux et indirectement de pire à l'horreur. De mieux car sans lui, le slasher continuerait à dormir et un personnage aussi mythique que Freddy n'aurait jamais vu le jour. De pire, car l'influence brusque de son approche, dont le paroxysme, Scream en 96, a bien failli tuer le genre, étouffant littéralement toute une tradition voulant qu'un film d'horreur ne s'encombre pas de second degré, de références trop contemporaines ou d'aimables légèretés adolescentes. Enorme malentendu qui entoura cette trilogie qui n'est guère plus qu'une analyse fine du registre et d'Hollywood, doublée d'un divertissement de qualité incontestable. Souvent décrié, surtout sur le seul fait de ses derniers films, Wes Craven n'en reste pas moins un réalisateur incontournable de l'horreur à qui il convient de rendre hommage. Comme les plus grands, il livra une poignée de films incontournables, et surtout, un croquemitaine d'anthologie...

Wes Craven a ceci de commun avec Michel Leeb : c'est un ancien prof de philo. Ne désirant visiblement pas passer le reste de sa vie à caricaturer des éternuements japonais ou des accents africains, Craven se dirige vers le cinéma et y fait une entrée fracassante, sous la houlette du futur réalisateur du premier Vendredi 13. Nous sommes alors en 1971. Craven qui comme tout jeune aspirant cinéaste galère quelque peu dans le circuit et se fait la main sur quelques films X, est contacté par son ami Sean Cuningham. Ensemble ils signent Together, petit film aujourd'hui introuvable avec Marilyn Chambers, grande porno-star de l'époque. Chose amusante, Marilyn Chambers, qui devait apparemment demander des cachets fort peu élevés pour ses films "normaux", est également à l'affiche de Rage, l'un des premiers Cronenberg. La collaboration se passant bien, Cuningham, entre-temps improvisé producteur, décide de sauter le pas et offre à Craven sa première véritable réalisation. L'affaire est simple, la condition sine qua non étant que l'histoire se doit d'être la plus épouvantable qui soit. Et Craven d'opiner du chef et de ramener quelques jours plus tard le scénario de La Dernière Maison sur la Gauche. Tourné dans la foulée pour 50 000 $, soit à peu près moitié moins que La Nuit des Morts Vivants, tiré vite fait à quelques copies projetées dans une poignée de drive-in, le film qui aux dires de Craven et Cuningham avait surtout l'allure d'une bonne blague acquiert rapidement une réputation sulfureuse et attire un distributeur qui en abreuvera tout le pays. Revoir aujourd'hui ce film sorti en 1972 permet de se rendre compte du talent de Craven, qui livre là un film réellement abominable qui trente-deux ans plus tard n'aura pas pris l'once d'une ride. Sean veut une histoire "violente et dégueulasse" ? Wes Craven, en bon exécutant, va le satisfaire pleinement. Lorgnant vaguement vers le Rape and Revange, La dernière maison sur la gauche est une heure et demi d'insanités et d'ultra-violence, le tout avec une image bien poisseuse donnant un aspect crade et réaliste aux limites du reportage. Ambiance pesante et atmosphère glauque, La dernière maison sur la gauche sans être insoutenable, n'a rien perdu de sa force traumatisante. L'humour, trait qui deviendra représentatif du cinéma d'horreur de Craven, est déjà là, offrant une paire de flics particulièrement stupides et un meurtre à la fellation (!!) particulièrement réjouissant. Craven signe là ce qui reste son film le plus osé et le plus fort. Un coup de maître qui ne fait que regretter la dégringolade que prendra son oeuvre. Car force est de constater qu'au fur et à mesure, ses réalisations s'édulcoreront considérablement...

La dernière maison sur la gauche fait toujours partie des films reconnus comme
insupportables, même si en ce qui le concerne, le mot est aujourd'hui devenu un peu fort. Son influence fut telle qu'il lança à lui seul ou presque ce genre filmique étrange, où les personnages subissent crasseries sur crasseries avant de se retourner contre leurs bourreaux pour leur en faire voir bien pire. Un genre où l'on peut bien sur inclure le Rape and Revenge avec des titres comme I Spit on Your Grave. Mais La dernière maison sur la gauche enclencha ce que l'on appela aussi le Shock Movie, ces petites bandes fauchées, ultraviolentes et désespérées, où se mêlent des traînées de poudre comme Combat Shock (qui reste néanmoins une sorte de brouillon de l'Echelle de Jacob), Nekromantik ou Guinea Pig. Si en étant chanceux, on peut trouver de nos jours un DVD de La dernière maison sur la gauche dans n'importe quel bac promo de supermarché à un prix ridicule (pour ma part j'ai trouvé le mien planqué dans un kiosque), il ne faut pas oublier que ce film a connu toutes les affres de la censure : longtemps interdit dans de nombreux pays, dont la France, le film ne compte plus les coupes, au point que certaines scènes sont totalement introuvables. Mais même passablement amputé, La dernière maison sur la gauche n'est à placer que devant des yeux avertis. Si vous avez la chance de le visionner, n'oubliez pas :

- It's only a movie, it's only a movie, it's only a movie...

Craven, auréolé mais prudent, attendra cinq ans avant de reprendre la caméra, avec La Colline a des yeux, monument du survival sur fond de cannibalisme, qui s'inscrit dans la lignée de La dernière maison sur la gauche : réaliste, glauque, violent et bourré de tronches patibulaires, dont l'apocalyptique Michael Berryman, grand chauve au faciès évoquant l'acte de décès, qui traîna ses guêtres dans une flopée de nanars et de série B. Bon petit succès aussi, La Colline a des yeux, inspiré d'un fait divers sordide du XVIIIème siècle, connaîtra une suite à la qualité controversée et la carrière de Wes Craven s'annonce particulièrement gratinée. Faux espoirs, hélas : l'après La Colline a des yeux symbolise une sorte de pente pour la filmographie de Craven, qui s'amorcera tout doucement. Car après un téléfilm (L'Eté de la peur, avec Linda Blair) et La Ferme de la Terreur, film plutôt psychologique qui révèle Sharon Stone au grand public (et oui !), Craven "commet" La Créature du Marais. Nanar pour gosses teinté de bons sentiments et d'écologie, La Créature du Marais est un gros Z avec son lot syndical de craignos monsters, bien sûr sympa une fois qu'on sait à quoi s'attendre, mais tellement lointain des horreurs craspectes où semblait se complaire le barbu de Cleveland. Depuis, c'est avec regret que l'on constate qu'aucun de ses nouveaux films n'a atteint la tension psychologique et l'uppercut brutal que produisaient ses premiers tours de manivelle...

Pourtant la renommée de Craven va grandissante et en 1984, il va retrouver un peu de son aura en lâchant son film phare, créant un personnage incontournable
du film d'horreur, au point d'en devenir une nouvelle icône qui en sera totalement représentative. Ce personnage, nouveau croquemitaine du cinéma, il s'agit de Freddy Krueger. Le fermier fantôme, au visage brûlé, au chapeau sale et au pull vert et rouge, qui tue dans les rêves. Cette année-là, sort en effet le célèbre Les Griffes de la Nuit (A nightmare on Elm Street), et Craven lâche une créature qui rejoindra directement Dracula, Frankenstein et autre Loup Garou dans les figures incontournables du bestiaire horrifique. Sombre et onirique, Les Griffes de la Nuit devient à l'époque une sorte de nouveau mètre étalon du film de trouille et a sûrement causé son lot d'insomnies à un bon paquet de gamins, peu désireux de fermer les yeux pour voir apparaître le croquemitaine aux doigts d'acier... Aujourd'hui, force est de constater que sur ce plan-là, Les Griffes de la Nuit commence à accuser son âge.
Comme souvent, davantage que son film, c'est finalement le personnage inventé par Craven, pourtant loin d'être au premier plan dans Les Griffes de la Nuit, qui va s'imposer définitivement dans les esprits, au point de créer six suites de qualités variables. Craven, s'étant fâché depuis avec les instigateurs de la franchise, laisse tomber son bébé dès le deuxième opus, pour reprendre les choses en main lors du septième. Reste que le succès est phénoménal. Le personnage de Freddy Krueger plaît, son originalité, l'univers qu'il développe font mouche, son charisme est tel qu'il en devient un objet de culte. Robert Englund, acteur de seconde zone trouvait là le rôle de sa vie, au point d'en endosser certains traits de personnalité de la créature, trop bavarde et mégalomane... Les produits dérivés pleuvent, les clins d'oeil abondent. La franchise se développe, à un rythme effréné, au sein de laquelle on voit apparaître des noms comme Renny Harlin, Chuck Russell ou Screaming Mad George.

Ils sont peu, les boogeymen de grandes franchises, à bénéficier d'un tel fanatisme autour d'eux. Il y a Michael Myers, le tueur mutique de Carpenter, dont la saga se développe principalement durant les années 90. Leatherface aussi, un peu. Mais surtout, il y a Jason Vorhees, le colosse au masque de hockey, qui au moment des Griffes de la Nuit en est déjà à sa troisième aventure. Bien qu'ayant une mythologie un peu à part (Les Griffes de la Nuit n'est pas à proprement parler un slasher, ses suites non plus), le personnage de Freddy va intégrer cette joyeuse bande, prête à tout pour se farcir du jeune. Désormais, Wes Craven est devenu immortel...

Malgré tout, le bonhomme garde comme d'habitude la tête froide et ne sacrifie pas sa sensibilité artistique. Très peu impliqué dans les nouvelles frasques de son grand brûlé, Wes Craven laisse se faire les choses et continue son petit chemin. En 1986, il sort L'Amie mortelle, intéressante variation autour du mythe de Frankenstein, arrangé pour l'occasion à la sauce cybernétique. Histoire d'amour perdu particulièrement pessimiste, distillant quelques réflexions bien senties, L'Amie Mortelle est un film d'horreur un peu conventionnel sur le fond, mais efficace, doublé d'un propos à l'originalité salutaire. Quelques effets gores agréables (dont un meurtre au ballon de basket), une absence de happy-end, cette histoire d'amour maudite s'inscrit dans les petits classiques de son réalisateur. Le Craven des débuts se fait toujours attendre, mais la qualité de ses films est ici plus qu'honorable. La suite sera-t-elle du même acabit ? Effectivement après ce doublé sortira une année plus tard ce que je considère comme le meilleur Craven, L'Emprise des Ténèbres.
Nous sommes en 1987, le zombie a toujours le vent en poupe (merci Romero et son Jour des Morts Vivants) et c'est au tour de Wes Craven de sortir sa vision des choses : en revenant aux sources du mythe. Sur un ton à la limite du
documentaire, le réalisateur nous emporte dans une Haïti en pleine révolution, dans un film traitant du vaudou. Réaliste, très documenté et filmé à hauteur d'homme, voire caméra à l'épaule, L'Emprise des Ténèbres (The Serpent and the Rainbow) est une superbe réussite, envoûtante, où les troubles politiques s'enchaînent avec les croyances ancestrales. Le charme de l'île mystérieuse qu'est Haïti, l'onirisme des rites vaudous et l'intelligence de la chose font de ce film une pièce rare dans le cinéma de Craven. Avec un Bill Pullman qui prouve qu'avec un bon sujet, il peut être bon acteur. Pour une fois, Craven oublie d'être drôle, oublie d'être sarcastique et par une mise en scène intelligente, parsème le tout d'une ambiance flottante, entre cauchemar et réalité, retrouvant parfois certains tics des Griffes de la Nuit. Un voyage merveilleux et en arrière-fond, un reportage passionnant.

Hélas, l'accalmie ne sera que de courte durée. Après L'Emprise des Ténèbres, Craven, désirant probablement refaire une icône à la Freddy, lâche Shocker, un de ses pires films. Un sujet en or pour une production bancale dont le final est d'un ridicule achevé. Pas grand chose à sauver dans cette histoire de condamné à mort hantant l'électricité, se déplaçant de prise de courant en poste de télé. Visuellement moche, effets spéciaux pas bien beaux, tentatives à deux sous de créer une ambiance... reste Mitch Pileggi (Skinner dans X-Files) en tueur psychopathe : tout simplement bluffant. Voilà un acteur qui mériterait tous les honneurs du devant de la scène. Passons également rapidement sur Le Sous-Sol de la peur (The people under Stairs) en 1992, série B complètement allumée au concept jouissif (repompée par Mike Mendez en 97 pour Killers) mais qui a la mauvaise idée de tenter de faire peur sans susciter autre chose que l'éclat de rire, sur Freddy sort de la Nuit que je n'ai pas vu, ce qui n'aide pas pour critiquer, sur Un Vampire à Brooklyn, film de commande comico-vaguement gore avec Eddie Murphy en saigneur de la Nuit (un hommage à Blacula ?) qui comble efficacement une soirée sans plus de prétentions, pour enfin arriver à l'autre gros morceau de la filmographie de Wes Craven : la trilogie Scream.

Si ses films sont de qualités variables, Wes Craven se fait un nom et une réputation dans le milieu, et ceci dès La dernière maison sur la gauche. L'imagerie, le ton de ses films, la dérision qui les parsèment et surtout, les incroyables personnages le rendirent populaire auprès du public et des critiques, dont il reste particulièrement aimé. A époque égale, moins auteurisant qu'un Romero, plus fluide et lisse qu'un Carpenter, moins extrême que les Italiens, Craven affirme un style passe-partout, porté par des figures qui resteront à jamais ancrées dans l'histoire de l'horreur. L'homme est une sorte d'hybride entre le yes-man et l'auteur, alternant oeuvres de commande avec des travaux de réflexion bien plus subtils, tout en pratiquant un cinéma divertissant et respectueux. Avec Scream, Craven va parvenir à l'aboutissement de son propre travail : un film dépoussiérant tout un genre, tout en le critiquant, l'analysant et le renouvelant. Scream par son influence et son approche référentielle, aseptisée, rigolarde, voire cynique, marque également une cission, le début d'une nouvelle tendance qui ne faisait jusqu'alors que s'amorcer : la relative fin du film d'horreur glauque et
sérieux, le début d'une approche plus teenmoviesque, plus accessible aux néophytes, qui seront poussés du coude par quelques dialogues aux allusions cinéphiles bien senties. Au niveau du slasher, tout comme il y eut un avant et après Halloween, il y a désormais un avant et après Scream. Autant dire que pour les fans purs et durs, Craven devient l'homme à abattre...

Tout commence par la rencontre d'un scénariste qui cherche à faire son trou à Hollywood. Il s'appelle Kevin Williamson.

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme : le film d'horreur, le petit Kevin, 13 ans, tombe dedans grâce à Halloween, de John Carpenter. Après avoir tenté un temps de faire l'acteur, il s'en retourne vers l'écriture. Le premier de tous ses scénarios sera Miss Tingle, qui, accueilli mollement, ne fera pas l'objet d'une réalisation immédiate. Il aura plus de chance avec son suivant : l'histoire d'une bande de jeunes poursuivie par un maniaque au couteau, qui un beau jour tombe entre les mains de l'ami Wes Craven, qui voit sans doute là l'occasion de faire un come-back, le réalisateur n'ayant rien tourné depuis 1993. Scream est né et fera l'effet d'une tornade. A cette époque, au Festival de Gerardmer, c'est le choc : le slasher renaissait de ses cendres ! Payant son tribut à Carpenter, bourré de clins d'oeils et de références, Scream plus que son sujet d'une banalité affligeante, s'impose comme une sorte d'essai sur les codes de son propre genre qu'il n'hésite pas à tourner en dérision. Le film deviendra par la suite le mètre étalon de ce que l'on appellera désormais le néo-slasher ou tout bonnement... le slasher post-scream.

Masque blanc, bande de jeunes, vielles histoires enfouies... et un tueur qui se prend bouteilles de bière et portes de frigo, sans oublier les bons coups de pieds dans les parties (là on est sûr, c'est un homme). Scream pose son sujet, développe son genre, mais le fait également évoluer, cassant totalement l'imagerie du croquemitaine invulnérable à la Michael Myers. Dans la petite ville de Woodsborro, les jeunes filles préfèrent s'enfuir dans le jardin plutôt que dans leurs chambres, appellent la police par Internet plutôt que par le téléphone (coupé). Et les potes dissertent passionnément de la cage thoracique de Jamie Lee Curtis ou des cinq règles pour survivre dans un film d'horreur. C'est une totale mise en abîme qu'effectue le duo Craven/Williamson, riant des clichés tout en les exploitant parfois à fond. Riche en clins d'oeil et en bonnes blagues, Scream s'avère également être un film efficace, alternant leçon de mise en scène, scénario alambiqué et interprètes à l'avenant. A côté d'un caméo de Drew Barrymore, qui finira pendue les tripes à l'air, se dressent la très jolie Neve Campbell, le frappé Matthew Lillard ou encore le trouble Skeet Ulrich. Des personnages aux traits de caractère propres, achevant de distiller indices et fausses pistes. Si Scream divisa considérablement les fans, il n'en reste pas moins un retour en force pour Craven et un film intelligent, violent et en même temps atrocement jouissif. Fidèle à son habitude, Craven lâche une nouvelle figure populaire dans ce cinéma d'horreur où il apporta tant. Cette fois, il s'agit du "ghost-face", qui chose rare, n'est pas un personnage, mais un simple costume qui a été élevé au rang d'icône. Un masque troublant, fascinant, dont l'aura est telle qu'il servit hélas dans la réalité pour des meurtres tout à fait véridiques. Triste fait-divers qui comme de bien entendu montra du doigt ce film qui, tout en s'adressant explicitement aux moins de 16 ans, est pourtant loin des premiers délires nauséeux de son réalisateur.

Le succès de Scream est phénoménal, au point de retrouver l'ambiance qui entoura la sortie d'Halloween, chacun désormais voulant faire "son" Scream. Le malin Kevin Williamson le comprendra très vite et maintenant que son nom est vendeur, se dépêche de mettre sur pied le scénario de Souviens toi... l'été dernier (1997). Malgré un tueur au crochet particulièrement intéressant, le nouveau scénario de Williamson répète déjà les nouvelles leçons de Scream, l'ironie en retrait, mais les poncifs en plus. Autrement dit, rien de bien nouveau, du pur phénomène de mode et c'est ainsi que la vague avancera, probablement pour le malheur de Craven : Souviens toi l'été dernier 2 (sympa), Urban Legend (pas mal), Urban Legend 2 (une belle bouse), Mortelle St-Valentin (pitié), le navrant essai français Promenons-Nous dans les Bois, jusqu'au récent Lovers Road qui ne trouve rien de mieux à faire que de piller Scream (pour le look) et Souviens-toi... l'été dernier (pour l'arme du crime) pour un résultat qui doit avoisiner le navet. On retiendra toutefois Cut, film australien qui a l'avantage de charcler dans tous les sens, comme les réalisateurs de là-bas ont l'habitude de si bien le faire. Pourtant le genre plaît, le public en redemande. Comme Williamson est devenu le nouveau prodige d'Hollywood et que Craven s'est remis sur les rails en moins de temps qu'il ne fait pour l'écrire, les deux hommes, probablement motivés par un producteur, vont se lancer dans la séquelle de leur bébé miraculeux. Une séquelle qui ne s'imposait pas...

En 1997, Kevin Williamson ne chôme donc pas et termine l'histoire de Scream 2.
La mode est lancée mais l'effet de surprise passé : face à tous ces clones, cette suite de Scream peine à convaincre. Neve Campbell, toujours très jolie, est toujours là, le "ghost-face" aussi, l'analyse des références également. Cette fois-ci, les clins d'oeils et discussions tournent autour de l'univers de la séquelle, mais dans un ensemble bien moins fin que dans le premier épisode. Ajoutez à cela une intrigue plutôt fil blanc et un final ridicule (qui semble pourtant lorgner énormément vers le premier Vendredi 13) et vous obtenez un film qui ne tombe pas dans ce qu'il dénonce, certes, mais oublie de s'interroger sur la question principale : son intérêt. Paradoxalement, Scream 2 fait monter le trouillomètre, un bon point par rapport au premier opus, plutôt classique en émotions fortes. Une scène reste en tête, notamment, où Sydney (Neve Campbell) et une copine sortent d'une voiture par la fenêtre, devant pour cela passer par dessus le tueur évanoui. Un passage à déconseiller aux cardiaques.

Scream 3 viendra boucler la boucle, mais sans Kevin Williamson pour cette fois. Qu'à cela ne tienne, Wes Craven embauche Ehren Kruger et en profitera pour parachever pleinement son travail de mise en abîme. Là où les deux premiers Scream dévoilaient et riaient de certaines ficelles, le troisième opus va encore plus loin, en créant comme dans Freddy sort de la Nuit un film à l'intérieur du film, pour mieux poser un constat cynique sur le métier. Le plat est toujours réchauffé, mais moins sanglant, et encore plus parodique. Comme le dira un des personnages, le troisième épisode est celui où tout peut arriver. Et tout arrivera : des révélations en pagaille, des caméos à n'en plus finir (Roger Corman, Carrie Fisher, Lance Henriksen) pour un volet plus fouillé mais aussi plus lent, plus cérébral. Sans être une totale réussite, la sauce ayant décidément peine à prendre, Scream 3 finit en beauté ce qui reste l'une des trilogies les plus importantes et les plus intelligentes du cinéma d'horreur. Relancer sa carrière sur un film culte, beaucoup de réalisateurs en rêvent. Wes Craven y est arrivé, profitant de l'occasion pour montrer à nouveau qu'il a des choses à dire. Un statut où il semblera se plaire, un temps, se fendant même d'une curieuse pièce dans sa filmographie : La Musique de mon coeur, mélo sirupeux avec Meryl Streep. Souvent méprisée par les amateurs, la trilogie Scream démonte et s'amuse avec une facilité déconcertante
d'un genre qui finalement, ne demandait qu'à être parodié. Il n'y a qu'à voir le Scary Movie des frères Wayans : aurait-il été si réussi, sans que Craven ne déblaie le terrain et montre les travers d'un genre qui avait indéniablement besoin d'un dépoussiérage ?

Il y aurait long à discuter sur Scream, son apport, ses trahisons et son influence. Indéniablement avec cette trilogie, Wes Craven aura révolutionné le cinéma d'horreur des années 90. Il aura fallu attendre Jeepers Creepers pour que la tendance s'inverse pour redevenir poisseuse, plus adulte et affolante. Quoi qu'on en dise, Wes Craven demeure un réalisateur précieux. Son oeuvre, oscillant dans les meilleures années entre réflexions sur la famille, le rêve ou son propre métier, est une des plus passionnantes et des plus abouties techniquement. S'il a pu mettre à mal le genre, un temps, et cela non sur le fait d'un de ses films mais de l'avalanche d'avatars qui en découla, il le rendit à nouveau populaire et rentable.

Et à présent ? Toujours en activité, Wes Craven s'est fait producteur, pour des résultats avouons-le pas très heureux : The Wishmaster, avec son Djinn devenu (décidément) une nouvelle figure emblématique, pour une série B pas très stable et Dracula 2000, que l'on qualifiera d'oubliable. Admirateur de Roman Polanski, il se verrait bien fouiller d'autres registres, tout en gardant un pied dans l'horreur, ses premières amours qui durent toujours. Il a d'ailleurs retrouvé Kevin Williamson pour Cursed, une histoire de Loup-Garou. Plus curieux, il se serait attelé à un remake de... Harry, un ami qui vous veut du bien, avec Christopher Walken. Quant à un quatrième Scream, vieille rumeur qui apparut dans la foulée du troisième, il laisse entendre que ça ne serait pas exclu. Un film original, un remake et un épisode de franchise une nouvelle fois pas indispensable : non, Wes Craven n'est pas prêt de changer. Dans un sens, tant mieux...

Filmographie de Wes Craven

Cursed (prochainement)
With a friend like Harry (prochainement)
Scream 3 (2000)
La Musique de mon coeur (Music of the Heart) (1999)
Scream 2 (1997)
Scream (1996)
Un vampire à Brooklyn (Vampire in Brooklyn) (1995)
Freddy sort de la nuit (New nightmare) (1994)
Le Sous-sol de la peur (The People under the stairs) (1991)
Shocker (1989)
L' Emprise des ténèbres (The Serpent and the rainbow) (1987)
L' Amie mortelle (Deadly Friend) (1986)
La Colline a des yeux 2 (The Hills have eyes, part II) (1985)
Les Griffes de la nuit (A Nightmare on Elm Street)
La Créature du marais (Swamp Thing) (1982)
La Ferme de la terreur (Deadly Blessing) (1981)
La Colline a des yeux (The Hills Have Eyes) (1977)
La Dernière maison sur la gauche (The Last house on the left) (1972)