7/10Suspiria de retour en 2018 sans Argento

/ Critique - écrit par nazonfly, le 26/11/2018
Notre verdict : 7/10 - Soupir extatique (Fiche technique)

Tags : suspiria argento film dario cinema horreur films

Il faut être sacrément courageux pour proposer un remake du Suspiria de Dario Argento tant le film est à part dans le monde des films d'épouvante. Mais il y a toujours des fous pour tenter l'impossible.

On le répète depuis plusieurs années, à tort ou à raison : Hollywood semble manquer de scénarios originaux et se contente de poursuivre des séries jusqu’à les éreinter (Star Wars, Marvel Cinematic Universe) ou de proposer des remakes à l’infini. C’est ainsi qu’il y a près de 10 ans, David Gordon Green (Halloween 2018) se propose de refaire Suspiria, le film d’horreur marquant de Dario Argento dont Lestat vous a déjà parlé en long et en large. Le projet capote et revient, une décennie plus tard, sous la caméra de l’Italien Luca Guadagnino.

De Suspiria, Guadagnino garde l’idée d’une jeune fille qui débarque dans une étrange école de danse dans laquelle de non moins étranges disparitions ont lieu, ainsi que le thème de la sorcellerie tout en tentant le grand écart de conserver le choc artistique que peut procurer l’œuvre originale d’Argento. Il transpose, cependant, l’intrigue dans le Berlin de 1977 (date de sortie du film original), un Berlin grisâtre, à l’architecture soviétique, imposante et délabrée. Cette transposition permet de dresser un cadre suranné, au charme incertain mais surtout d’une froideur palpable. Cette atmosphère déliquescente forme un contraste saisissant avec les scènes de danse d’une intensité incroyable. Là où, chez Argento, l’école de danse ne semblait être qu’un moyen de rassembler dans un même lieu plusieurs jeunes filles et que le choc artistique était plutôt lié aux couleurs, aux décors et aux musiques utilisés, chez Guadagnino, la danse est l’essence même du film. C’est par la danse que la sorcellerie s’exerce, c’est par la danse que le spectateur pénètre dans le film qui met un peu de temps à démarrer. Il faut noter ici la performance incroyable de Dakota Johnson qui occupe la scène et, par là, l’écran avec une présence que l’on pourrait qualifier d’indicible pour reprendre un poncif lovecraftien. Chacune de ces scènes dansées prend littéralement aux tripes jusqu’au climax qui termine l’intrigue dans une débauche visuelle sanglante et définitivement extraordinairement esthétique.


La chaleur de Dakota Johnson DR.

Le fait de transposer le scénario dans le Berlin de la fin des années 70 permet aussi de greffer à l’histoire de sorcellerie, symbole éternel du féminisme, de façon assez intrigante, un petit bout d’histoire liée à la déportation, à la Shoah et à la séparation d’un couple. À dire la vérité, on a un peu de mal à comprendre ce que vient faire là cette ellipse romantique, même une fois qu’elle nous a été expliquée. On dirait presque que c’était le seul moyen d’imposer un homme à l’écran dans un univers peuplé de femmes avant que l’on se rende compte que le rôle est joué par l'excellente Tilda Swinton, ce qui ne lasse pas de nous plonger dans l'expectative. L’école de danse, elle, est quasi-exclusivement, et encore plus que dans la version d’Argento, constituée de femmes : il faut se rappeler alors que la sorcellerie a été, de tout temps, l’occasion de revendiquer pour certaines femmes leur indépendance, de la sorcière isolée dans sa hutte dans l’imaginaire populaire jusqu’aux congrès Wicca. C’est ainsi que, dans Suspiria, il existe trois mères primordiales : Mother Lacrimarum (les larmes), Mother Tenebrarum (les ténèbres), Mother Suspirorum (les soupirs) à l’évocation délicieusement gothique. Ce thème de la mère semble être essentiel dans le Suspiria de Guadagnino, même si le film nécessite sans aucun doute plusieurs visionnages pour que l’on puisse en tirer l’essence ainsi que les tenants et les aboutissants de l'intrigue.


La froideur de Tilda Swinton DR.

Porté par de sublimes actrices, la chaleureuse Dakota Johnson et la glaciale Tilda Swinton en tête, ainsi que par une musique parfois dérangeante, parfois superbe, écrite par, excusez du peu, Thom Yorke, Suspiria traîne peut-être quelques longueurs ici et là mais se révèle par la grâce de quelques scènes de danse marquantes.