Shining : King ou Kubrick ?

/ Article - écrit par nazonfly, le 23/11/2016

Tags : film kubrick shining king jack stephen danny

On le sait, Stephen King n'a pas aimé l'adaptation de Shining. Au fait, pourquoi ?

S’il y a une œuvre littéraire qui symbolise parfaitement les problèmes d’adaptation, c’est bien Shining de Stephen King. L’histoire est, en effet, connue : le roi de l’horreur a toujours été très critique concernant l’adaptation de son livre par Stanley Kubrick, sans toutefois nier que Shining de Kubrick est un bon film. Pourtant le film de Kubrick n’est pas si éloigné que cela du bouquin original. On y retrouve un formidable hôtel perdu au milieu des montagnes, isolé par les tempêtes de neige en hiver, un hôtel typique des histoires de fantômes. On y retrouve aussi un ancien prof, Jack, pour qui le rôle de gérant hivernal de l’hôtel est une planche de salut. On y retrouve aussi Wendy, la femme de Jack, qui suit son mari et, finalement, son fils, Danny, un gamin surdoué aux dons surnaturels. Dans la suite, nous allons tenter de voir pourquoi King n’a pas aimé l’adaptation en voguant gentiment du film de Kubrick à l’adaptation télévisuelle du bouquin, une adaptation supervisée, cette fois, par King lui-même qui signe le scénario. Les mauvaises langues remarqueront que ce dernier point explique que le téléfilm, sorte de mini-série, dure trois fois 1h30…


Stephen, et si on parlait du Shining de Kubrick ? DR.

Ce que l’on ne peut manquer de remarquer en premier lieu, c’est que, dans le livre, l’élément fantastique est évidemment (on parle de King tout de même !) primordial : l’hôtel n’est rien d’autre qu’une maison hantée beaucoup plus grande. Les fantômes y pullulent, notamment dans la célèbre chambre 217 (237 pour Kubrick) et l’hôtel a une volonté propre. Mais les fantômes ont la particularité d’être intangibles, une volonté n’est pas mesurable et l’on reste constamment sur une double lecture : ce que voient les personnages n’est-il qu’une hallucination ou, au contraire, un véritable élément surnaturel ? Kubrick parvient parfaitement à jouer sur les deux tableaux tandis que l’adaptation télévisuelle (de Mick Garris, un nom sans doute moins ronflant que Kubrick mais il a adapté plusieurs fois King) semble prendre un parti plus fantastique. Pour preuve, on pourrait prendre l’exemple de l’extérieur de l’hôtel où sévissent de monstrueux animaux en buis chez King et Garris mais où se trouve un simple labyrinthe chez Kubrick. Cependant, le Shining de Kubrick peut parfaitement être considéré comme un film fantastique : les visions de Dany, la chambre 237, les fantômes de l’hôtel peuvent être pris au premier degré comme des apparitions surnaturelles.


Labyrinthe effrayant contre animaux en buis inquiétants DR.

Ce que l’on ne peut manquer de remarquer en deuxième lieu, c’est la différence d’approche du personnage de Jack, et c’est, évidemment, sur ce point en particulier que la vision de King et Kubrick s’affrontent, chacun y ayant amené ses propres démons. Pour King (et donc pour Garris qui ne semble n’être que la marionnette de King), Jack est un ancien alcoolique qui a cassé le bras de son fils après une crise de colère ; il est, de plus, constamment hanté par son père qui le battait. Quand on connaît le passé d’alcoolique de King et sa non-relation avec un père qui a quitté le domicile familial assez tôt, on se doute que Shining a un aspect autobiographique. Le Jack de King est entraîné, contre son gré, par les forces maléfiques de l’hôtel. Au contraire, le film de Kubrick est clairement un film sur la folie : Jack sombre, en réalité, petit à petit, dans la folie sans que l’élément fantastique ne puisse être, de façon certaine, mis en cause. Jack étant en quelque sorte l’alter-ego de King, on peut aisément expliquer où se situe le malaise du roi de l’horreur ! D’autant plus que la fin du Shining de Kubrick montre un Jack, gelé dans sa folie tandis que le même Jack a un sursaut de courage en faisant sauter l’hôtel dans le livre et le téléfilm (il y a ici un parallèle évident à faire avec les destructions finales dans Carrie et Salem).


Here's Jo... hey c'est quoi ce bazar ? DR.

 

Il est évident que, même si le personnage de Jack est l’élément principal de différence entre les adaptations, il n’est pas le seul : on peut faire un focus sur Wendy, aux cheveux sombres et à l’aspect discret, complètement sous l’emprise de son monstre de mari chez Kubrick qui est complètement à l’opposé chez King/Garris (une belle femme blonde sûre d’elle). De même, Danny semble largement plus intelligent chez Kubrick, la faute peut-être à un choix de rôle discutable chez Garris (ça se fait de dire d’un enfant qu’il a une tête de con ?). Chez Danny, on retrouve aussi le débat sur le fantastique évoqué dans le premier paragraphe : l’ami imaginaire du gamin est réellement présent dans l’adaptation télévisuelle (on le voit) tandis qu’il semble n’être qu’un aspect de l’imagination (de la schizophrénie) chez Kubrick. Le rôle de Danny est d’ailleurs très étrange si l’on élimine entièrement le côté fantastique chez Kubrick : comme évoqué dans Room 237, on peut alors se demander comment Jack parvient à sortir de la réserve.


La coupe est pleine ! DR.

Shining est l’œuvre idéale pour montrer ce que peut/doit être une adaptation. Une adaptation peut suivre fidèlement une œuvre originale en n’apportant que peu d’éléments nouveaux : il faut alors que le réalisateur s’efface complètement devant l’auteur du livre. Le résultat donne, en général, un film sympathique mais assez attendu. Au contraire, une adaptation peut ne se servir du matériau original que comme simple base pour développer un univers particulier : le réalisateur met alors sa patte, mais aussi ses espoirs, ses obsessions, dans le film. Le résultat déplaira forcément aux admirateurs du livre mais plaira aux admirateurs du réalisateur. Il faut noter ici qu’un document sur le Shining de Kubrick, Room 237, a vu le jour et qu’il offre plusieurs pistes de réflexions sur ce qu’a voulu faire Kubrick à partir du roman de King. Certaines thèses sont plutôt bien senties et argumentées (par exemple, celle qui veut que Shining soit en réalité une critique du génocide amérindien, voire de tous les génocides), d’autres plus difficilement concevables (Shining serait, pour Kubrick, une façon de montrer que le pied sur la Lune des Américains a été, en réalité, réalisé par Kubrick dans le désert, même si quelques éléments sont troublants).