9/10Parasite, ou l'art de la rupture de ton

/ Critique - écrit par Hugo Ruher, le 05/06/2019
Notre verdict : 9/10 - C'est bien, c'est beau, c'est Bong (Fiche technique)

Tags : film parasite bong joon famille cinema park

C'est la palme d'or de cette année, Parasite de Bong Joon-ho. Une palme saluée d'une manière générale par la critique, et il y a de quoi. Ici on va essayer d'en parler sans spoiler, parce qu'il s'agit typiquement du film qu'il ne faut pas dévoiler sous peine de gâcher une bonne partie du ressenti, voici pourquoi.

Les amateurs de Bong Joon-ho le savent: le réalisateur sud-coréen apprécie beaucoup les changements de ton. Même dans ces drames les plus sombres comme Memories of Murder ou Mother on trouvait quelques pointes d'humour. Au contraire, le plus léger Okja réservait quelques moments assez dark à la limite du soutenable.

Dans Parasite, il a poussé cette logique encore plus loin, allant jusqu'à induire le spectateur en erreur pour mieux le surprendre avec une expérience forte. Autant dire qu'une grande partie de l'intérêt du film repose sur cette construction, il va donc falloir s'armer de pincettes pour ne rien spoiler.


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Déjà, évacuons le côté formel, on est face à un film magnifique, filmé comme d'habitude chez Bong Joon-ho avec maestria et porté par des acteurs tous parfaits. La mise en place des enjeux du scénario pourrait être montrée dans les écoles de cinéma tellement elle est parfaite. De la condition de la famille du départ, jusqu'aux relations qu'ils ont entre eux et en passant par leurs ambitions et leur caractère. Tout ça est traité en à peine quelques minutes et on se familiarise très vite avec tout cet univers. Le propos sur l'argent et les inégalités sociales est très riche et subtil et il y aurait beaucoup à creuser, surtout quand on connaît l'engagement de Bong Joon-ho contre certains aspects de la société sud-coréenne.

Pour résumer l'histoire, la famille Kim, sans le sou, se rapproche de manière insidueuse de la famille Park pleine aux as, mais les choses ne se passent pas comme prévu. Nous n'irons pas plus loin pour ne pas gâcher la surprise.

Passons donc au coeur du film: le changement de ton. Le but est de faire basculer le récit dans une direction inattendue en modifiant l'ambiance de manière brutale. Pour les amateurs de série prenant l'exemple de Kaamelott, pastille comique de quelques minutes qui se transforme peu à peu en récit épique et sombre, voire déprimant. Une transition pas appréciée par tous les fans mais qui a le mérite de s'être faite petit à petit et d'avoir été globalement bien menée. Mais Alexandre Astier avait l'avantage d'avoir une série et donc de nombreuses heures pour basculer lentement. Dans un film de deux heures, la transition doit être beaucoup plus rapide.


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On est donc face à une nécessité si on veut aller dans cette direction, de pratiquer une vraie rupture. Une rupture rapide mais pas injustifiée, on ne peut pas passer de la comédie au drame sans explication au risque de perdre le spectateur et pire, de se retrouver avec des personnages incohérents et un scénario qui semble mal maîtrisé.

C'est là tout l'art de Bong Joon-ho. Quelques indices sont placés pendant la première partie du film pour nous dire qu'il y a autre chose derrière. Mais ils sont amenés d'une telle manière que ce n'est qu'a posteriori qu'on se rend compte de ce qu'ils voulaient dire. Ici, désolé mais il faudra se passer d'exemples pour ne pas spoiler, ceux qui ont vu le film en auront.

Le film est divisé clairement en trois actes qui pourraient presque être trois films différents, mais le tout se fait dans une telle fluidité que ça semble logique et même inévitable. Le réalisateur embrasse plusieurs genres de cinéma tout en gardant la cohérence des choix des personnages et de son récit.


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Un film donc difficilement classable (comédie ? film d'horreur ? drame social ?) qui mérite amplement tous les éloges qui lui sont faits de la part du public comme de la profession. D'ailleurs, en regardant le palmarès des palmes d'or passées, on se rend compte qu'il s'agit certainement du film sacré le plus grand public depuis au moins une quinzaine d'années (voire depuis Pulp Fiction), ce qui fait du bien.