
Nouveau Monde (Le)
Il aura fallu sept ans à Terrence Malick pour reprendre la caméra de réalisateur. Et estimons-nous heureux, car près de vingt années ont séparé La Ligne Rouge (1998) des Moissons du Ciel (1979). A l'instar de certains réalisateurs, Malick cultive le mystère, mais aussi le succès. Car si ses films n'ont jamais explosé le box-office ou fait de razzia sur les oscars, ils ont au moins le mérite d'avoir su trouver leur public, et de se dépareiller des produits finement huilés des grandes machines hollywoodiennes.
Début du XVIIème siècle. Trois bateaux de la Virginia Company accostent en Amérique du Nord pour y installer une colonie. Les relations avec les indigènes locaux se détériorant petit à petit, les colons doivent impérativement trouver de quoi survivre, et ils envoient donc le capitaine John Smith (Colin Farrell) négocier avec le chef des indiens. Sur le point d'être mis à mort, il est sauvé par Pocahontas (Q'orianka Kilcher), une jeune indienne...
Terrence Malick n'est pas du genre à entrer dans le moule. Ce qu'il veut montrer, ce qu'il recherche, il ne le trouve pas dans l'exposition ou la débauche sentimentale, ni dans l'effet gratuit ; tout est ici question de sensibilité. Ses oeuvres échappent aux codes et aux clichés du genre, même si elles-mêmes répondent à leurs propres lois, généralement rythmées par les douloureuses introspections voix-off de ses protagonistes. La caméra est voluptueuse, humble ; le montage est calme, lancinant, désordonné tout en étant cohérent, fait penser à un rêve dépourvu du superflu. Les personnages ne sont pas faits de marbre, peuvent disparaître à n'importe quel moment pour n'importe quelle raison, quel que soit le visage et sa notoriété. Tout ça, c'est un film de Terrence Malick. Et c'est Le Nouveau Monde. Arraché aux mains de Disney, Malick revisite le mythe de Pocahontas et lui donne une nouvelle jeunesse, n'en garde que la poésie, l'habille de ses distingués atours. Son style est toujours palpable : si les hommes de La Ligne Rouge s'interrogeaient sur la mort et le sens de la guerre, ceux du Nouveau Monde pensent à l'amour, à Dieu, et à la nature. Malick obtient tout : ses acteurs expriment plus qu'ils ne parlent, trouvent le ton juste dans un simple regard, ne cachent rien. Ils sont justes, parfois à la limite, mais justes, pas un mot ou une image plus haute que l'autre. Les extrêmes ne sont jamais atteints : on ne rit pas, on ne pleure pas. On se laisse porter par la vision de cet homme, profondément attaché aux questions métaphysiques et à la nature, qui nous emmène d'un point à l'autre de l'histoire avec volupté et savoir-faire. Son seul problème, en définitive, est peut-être de vouloir trop en faire, de s'asseoir sur une scène en négligeant une autre, un sentiment sans doute amené par des successifs remontages.
Un beau film brillamment mis en image, alternant bons sentiments, sauvagerie, paysages naturels, et questions métaphysiques. Le montage et la réalisation, empreints du talent et de la vision de Terrence Malick, ne parviennent néanmoins pas à faire oublier les quelques longueurs parfois problématiques.
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10 commentaires
Anonyme
15/02/2006 à 18h41Répondre
C'est marrant, j'allais écrire la même chose (avec moins de verve), y compris le prénom en signature
Du pur Malick, expérience visuelle et auditive, avec il est vrai quelques longueurs (2h15 quand même).
Ceir
20/02/2006 à 19h35Répondre
Oui, très bonne critique qui exprime tout à fait mon point de vue à l'égard du film.
Je rajouterai juste que c'est un film à aller voir dans un état esprit serein, calme, ouvert d'esprit. Car si on attend du rythme, de la confrontation blancs/indiens, etc. ce n'est pas le bon film, on risque même de s'y ennuyer.
Sinon, personnellement, j'ai trouvé la première heure magnifique.
Vincent.L
21/02/2006 à 22h31Répondre
Nicolas signe ici une de ses plus belles critiques.
Je n'ai presque rien à rajouter, tu as tout décrit.
Néanmoins une telle virtuosité de réalisation, une telle ode à la nature et à l'amour peuvent faire naître de petites larmes.
Les films de Terrence Malick sont vraiment uniques et celui-ci le prouve à un tel point que l'on ne peut que penser au génie.
Perso, c'est la seconde heure que j'ai trouvé magnifique.
Je donne la même note que Nico.
olympe
25/02/2006 à 22h20Répondre
Un trés beau film, surement le meilleur que j'ai vu
Ce film fait passer beaucoup d'émotions par les regards et les bruits de la nature (le vent dans le champs de blé...)
Pour ma part, je ne trouve pas qu'il soit trop long.
Anonyme
26/02/2006 à 15h17Répondre
Beau film, visuellement parlant.... La naïveté et l'angélisme de Terrence Malick sont touchants à son âge...Questions métaphysiques un tantinet ridicules, mais bon ça fait partie de la "griffe" Malick (cf La ligne rouge, avec des scènes dignes d'un clip de James Blunt, la grande classe...)
Gros point noir: Farrell, de plus en plus mauvais, son jeu consistant uniquement à froncer les sourcils façon personnages de Disney...
Kassad
01/03/2006 à 08h10Répondre
Argh comparer la ligne rouge à un clip de James Blunt ! (et puis sans plus d'arguments).
En ce qui concerne le nouveau monde je dois dire que j'ai moins accroché que pour la ligne rouge même si j'ai finalement bien apprécié. Malik a un don pour faire des films qui sortent du lot et qui font méditer ses spectateurs. Mais par instant j'ai trouvé que Malik se pompait trop lui même ne donnant plus qu'une version édulcorée de la ligne rouge.
nazonfly
19/03/2006 à 19h08Répondre
Tchip-tchip font les petits oiseaux dans les bois. Malick sait les enregistrer et il le monte. Il sait aussi filmer la nature et il le montre. Par contre au niveau scénario, il y a mieux à faire. Certains passages sont plutôt sympas, mais l'essemble est quand même bien gnan-gnan avec une Pocanhoncruchas du plus bel effet. Elle et le Capitaine Smith se posent des questions existentielles sur l'amour notamment en courant dans les blés... Bref c'est très ennuyant (notamment la première demi-heure).
Mais Malick doit être un grand réalisateur puisqu'il arrive quand même à intéresser le spectateur, à donner du crédit au film avec quelques images, deux trois paroles... un rien.
En tout cas, le Nouveau Monde est bien loin de mériter les critiques dithyrambiques qu'il a eues.
Anonyme
10/08/2007 à 14h54Répondre
J'ai vu ce film il y a plus d'un an et j'en garde un excellent souvenir. La beauté des images,la grandeur des personnages,le ton épuré du film m'ont vraiment plu. La reconstitution historique fait froid dans le dos,on se met à ressentir l'angoisse des personnages. J'ai trouvé l'histoire d'amour magnifique,comme les héros d'ailleurs hé hé.Pour une fois,Colin Farrell m'a impressionnée par son jeu. Ce film m'a vraiment touchée.
Anonyme
01/12/2007 à 23h49Répondre
je me suis rarement autant ennuyé...
Koub
10/02/2008 à 14h30Répondre
Critique perso du Nouveau Monde :
En 30 ans,
Terrence Malick naura signé que 4 films. Le dernier en date
étant La
Ligne rouge
en 1998. Il aura donc fallu 8 ans à Malick pour concevoir son
Nouveau
monde.
Une attente excessivement longue pour un film encore infiniment
meilleur.
Virginie,
1606. Trois navires anglais débarquent sur les bords du fleuve
pour y fonder une colonie. Ainsi est fondée Jamestown, dans un
paradis que personne naurait ne serait-ce quosé
imaginer. Seulement voilà, ne parvenant pas à sadapter
à leur nouvel environnement, les colons ne tardent pas à
connaître la famine et la misère. Les relations avec les
indiens se tendent. Le capitaine John Smith est alors envoyé
dans une tribu pour faire la paix et tenter dinstaurer une
collaboration. Pris en embuscade, Smith ne doit la vie sauve quà
lintervention dune jeune indienne. La fille du chef. Celle-ci
parvient à convaincre son père quun dialogue est
possible. Alors commence une expérience formidable pour Smith.
Théoriquement prisonnier, il est en pratique assimilé.
Il découvre toute la bonté, tout le bonheur et toute la
générosité de ce clan qui sait vivre en parfaite
harmonie. Avec des plans simples et de toute beauté, Malick
nous montre comment Smith découvre une civilisation qui, loin
de nêtre que simplement naïve et technologiquement
inférieure, ni une quelconque tribu à létat
de nature, a tout simplement su atteindre lidéal humain.
Une vie en groupe, restreint, où chacun travaille pour tout le
monde et exploite intelligemment les ressources formidables de la
nature. Par le biais dune voix-off introspective, Smith nous parle
de sa découverte de ce qui lui semble être le paradis
sur terre, un véritable rêve éveillé, le
moyen de vivre libre et en totale spiritualité avec ces êtres
qui lui deviennent si chers. Et parmi eux, la fille du chef. Dune
beauté irréelle, jeune, touchante, irradiant la joie de
vivre, elle va tomber éperdument amoureuse de Smith. A des
millions dannées lumières dune histoire damour
mièvre et convenue, Malick filme là une histoire
universelle. Smith nen croit pas ses sens. Dune sensibilité
effarante, Malick filme le couple rire et jouer dans des décors
dune beauté transcendante. Sa caméra caresse les
corps, effleure les herbes, fuit les regards. Il saisit lessentielle
beauté de la nature comme personne. Avec, en voix-off, les
errements philosophiques dun Smith qui nen plus de croire que
lui, ancien prisonnier, se voit proposer un tel bonheur. Tout en
retenue, lacteur Colin Farrell que lon nattendait pas à
ce niveau , garde ses distances puis finit par succomber à
celle qui lui dit nexister que pour lui, ne pouvoir exister sans
lui, et qui déclare, simplement, « grâce à
toi, je suis, je suis, je suis ».
Puis vient
le temps du retour à Jamestown. Smith est libéré
de sa prison du bonheur à condition quau printemps suivant,
la colonie soit repartie pour lAngleterre. De retour au camp,
après le rêve surréaliste vécu dans la
tribu, le capitaine découvre un cloaque immonde. Tout le monde
crève, les cadavres sempilent, les enfants galleux mangent
les morts, les rares survivants préfèrent se crever à
retourner la terre pour trouver quelques minables grammes dor,
« préférant bouffer le poisson cru plutôt
que de ramasser quelques branches pour le faire cuire ».
Ce retour à la civilisation occidentale est dune âpreté
sans pareil, Mallick y filme la décadence et la totale
déliquescence de ce peuple taré. Encore revêtus
de leurs lourds costumes anglais, suants et suintants à
grosses gouttes, puants, hagards et galleux, les colons incarnent
toute la bêtise de lOccident. Tout le monde se suspecte,
sentretue, se méfie, se mutine. Cest lanarchie. Et le
prêtre du village de traiter tout le monde dhérétique
et de vouloir pendre tout ce qui bouge. Smith, comme le spectateur,
nen croît pas ses yeux. Mais pour une raison obscure,
probablement lidée quil ne mérite mieux et son
envie de repartir découvrir dautres mondes, il reprend les
rennes du village au lieu de partir vivre avec son amour.
Arrive
lhiver. Cest lhécatombe malgré les efforts et
lhumanité de Smith. Cest à Pocahontas, puisque
cest bien elle même si Malick a décidé de ne
jamais la nommer, que les colons doivent leur salut. Par sa bonté
et sa générosité, elle vient au village avec des
montagnes de présents, vivres et vêtements. Couverte de
louanges et bénie par les colons, Pocahontas ne sait pas alors
quelle condamne son peuple. Ou comment lamour dune femme
pour un homme, le sentiment le plus pur, peut conduire au massacre de
toute une civilisation. Mallick met ainsi en scène le mythe
fondateur de lAmérique avec une tristesse impensable, dune
ampleur proprement désarmante. Voir une femme aussi pure
causer la perte dun peuple aussi grand en allant aider des êtres
galleux qui nont dhumains que le nom est lun des moments les
plus déstabilisants que lon puisse endurer. Savoir que
lAmérique actuelle sest bâtie sur une histoire
aussi atroce et inhumaine nous renvoie à ce que nous sommes :
des bêtes. Les bourreaux primaires et sanguinaires dune
civilisation qui navait dinférieure que sa technologie.
Nous, occidentaux, sommes les acteurs coupables de cette boucherie
qui nest finalement rien dautre quun génocide.
On pourra tenter de se rassurer en pointant du doigt toutes les
autres horreurs de lHistoire que nous avons depuis repoussées,
le nazisme en tête, nous en sommes nous-mêmes une,
peut-être même la pire. Malick nous décoche une
flèche en plein cur. Pocahontas est bannie de son clan et se
voit occidentalisée de la manière la plus ridicule qui
soit. Smith sen va à la conquête dautres mondes et
fait croire à sa bien-aimée quil sest noyé.
Cest alors toute la tristesse du monde qui sabat sur la pauvre
femme qui aura définitivement tout perdu. Mais, aussi
incroyable que cela puisse paraître, la vie continue. Un colon
à lhumanité rare saura apporter un peu de bonheur à
la pauvre femme. Ils se marieront et leur histoire traversera
lAtlantique. Le couple sera invité à la Cour
dAngleterre.
La fin est
de toute beauté. Réconciliée avec elle-même,
Pocahontas, qui aura offert un enfant à son mari, mourra dune
pneumonie avant davoir pu retourner en Virginie. La pauvre femme
meurt en 1616, en déclamant un dernier texte propre à
faire chavirer lhumanité toute entière. Film à
la beauté orgasmique, ode à la Nature, magistrale leçon
de philosophie, narrant des évènements aux conséquences
humaines et historiques tellement touchantes quelles vous
pulvérisent le cur, Le
Nouveau monde
est, tout simplement, lun des plus beaux films de tous les temps.