8.5/10Nos meilleures années

/ Critique - écrit par iscarioth, le 07/10/2006
Notre verdict : 8.5/10 - La meglio gioventù (Fiche technique)

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Le cinéma italien n'est pas au mieux de sa forme. On l'a connu prépondérant, rayonnant de son influence sur le monde entier. Un age d'or révolu depuis déjà fort longtemps. Dans le reste de l'Europe comme aux Etats-Unis, les films italiens faisant écho sont rares. Dernièrement, une réalisation a fait parler d'elle, mais d'inébranlables obstacles commerciaux ne lui ont pas permis un succès à la hauteur de sa qualité. La meglio gioventù de Marco Tullio Giordana, traduit en français Nos meilleures années et en anglais The best of youth a remporté le prix Un certain regard à Cannes en 2003 et a été largement plébiscité par la critique. La concrétisation auprès du public n'a pas été possible pour une simple raison : le film s'étale sur 360 minutes.

Six heures de film, divisées en deux époques de trois. La meglio gioventù raconte l'histoire d'une famille italienne, des années soixante jusqu'aux années deux-mille. L'histoire d'une famille, mais surtout celle de deux frères : Matteo, un bel homme mystérieux et mélancolique et Nicola, un humaniste convaincu, souriant et pacifiste. Au départ, les deux frères ne sont pas si différents. Mais leur rencontre avec une jeune fille aux troubles psychiques perturbe leur existence et leur fait prendre deux voies différentes (l'un devient policier, l'autre psychiatre). Forcément, au travers de ces individualités, c'est quarante ans de l'histoire d'Italie qui est passée en revue. L'inondation de Florence en 1966, les assassinats des brigades rouges, la lutte contre la mafia, certains matchs de football et moments de télévision... D'un point de vue franco-français, les images résonneront avec moins d'impact que sur des habitants de la péninsule latine. Etranger à l'histoire vive de l'Italie, le spectateur pourra tout de même être pénétré par certaines ambiances, certains clivages politiques et climats de terreur. Certains phénomènes sont internationaux. Par exemple, fin des années soixante, les personnages sont influencés par le mouvement hippie puis par la révolution étudiante qui s'exporte (des affiches du Mai 68 français trônent sur les murs). Passée la révolte juvénile, La meglio gioventù persiste sur la voie de l'humanisme et de la réflexion. Le film dénonce les maltraitances faites aux déficients mentaux, le terrorisme et les groupuscules d'extrémistes qui tuent pour leurs idées.


Dans la construction des personnages, l'inconvénient d'un film est qu'il est trop peu bavard. On n'explore pas les personnages, on n'en a pas le temps. On trace donc des pistes, on esquisse des profils et l'on laisse deviner des ramifications profondes. Les séries télé s'étalent plus dans le temps, et possèdent donc plus les moyens de construire des personnages denses, évoluant sur la longueur et surprenant les spectateurs. Ce n'est pourtant pas toujours le cas car, souvent, avec les séries télé, le personnage est au service de l'intrigue générale, très souvent basée sur les rebondissements. Sans vouloir refuser à La meglio gioventù son appartenance au cinéma, le film est une sorte de compromis. Durant six heures, il est évident que le spectateur s'attache plus profondément aux personnages, que l'on suit sur quarante ans, et qui, de fait, connaissent de nombreux bouleversements. La psychologie des deux personnages principaux est très approfondie. Les deux frères sont diamétralement opposés mais tout aussi complexes dans leurs relations amoureuses ou leur cheminement individuel. La meglio gioventù est l'un de ces films qui savent générer une très forte empathie du spectateur pour les personnages, en développant des sentiments universels comme l'attirance, l'amour, la compassion, l'amitié ou la douleur. Une qualité d'autant plus marquée que le film est porté par d'excellents acteurs, en particulier Luigi Lo Cascio et Alessio Boni, incarnant respectivement Nicola et Matteo Carati, les deux frères.


Marco Tullio Giordana, le réalisateur, Sandro Petraglia et Stefano Rulli, les scénaristes (à qui on doit aussi l'excellent
Romanzo Criminale), tous nés lors de l'après guerre, ont forcément mis de leur propre personne dans ce film. Cette génération de jeunesse des années 60-70, fruit des lendemains qui chantent, menant une révolution politique et culturelle, souhaitant tout changer, on la suit de son éclosion jusqu'à ses vieux jours. Et le rythme du film, ainsi que les préoccupations des personnages concordent bien avec les différentes époques traversées. Dans les premières années, la fuite en avant, la fougue. Avec les suivantes, le temps des premières désillusions. Puis, finalement, les générations qui passent. Les uns naissent, les autres vieillissent, et les derniers meurent. On préférera la première époque du film à la seconde. A la quatrième heure de film, La meglio gioventu atteint son firmament dramatique. Le plus gros bouleversement du film intervient, anéantissant tous les personnages. Les derniers temps du film, sans jamais être longs, s'étirent comme une longue plainte impossible à surmonter. La deuxième partie du film est de plus en plus simpliste dans sa dramaturgie et de moins en moins critique (on parle du climat de l'Italie des années 70, du terrorisme communiste, mais pas un mot sur l'Italie de Berlusconi et c'est justement la RAI qui produit le film). Quarante années se passent. Et le plus gros défaut du film est de faire s'écouler ces années spirituellement, mais jamais techniquement. Si les paysages et vêtements évoluent de manière plutôt crédible, les personnages vieillissent trop peu. En quarante ans, ils prennent à peine quelques ridules et passent d'une crinière brune à une chevelure poivre et sel.


Les critiques, anglo-saxons surtout, ont parlé de grand film épique. La force dramatique du film est grande car le spectateur peut s'attacher à chacun des personnages successivement. Pas de manichéisme, mais un humanisme total. « Je m'identifie avec tous les personnages d'un film » explique le réalisateur. La force dramatique du film est soutenue par le thème musical principal, particulièrement poignant, qui revient à de nombreux moments cruciaux, et qui est en fait une reprise de la composition de Georges Delerue pour Jules et Jim, le film de François Truffaut. « Dans la mesure du possible, nous avons essayé de raconter plutôt que d'expliquer » rapporte Stefano Rulli, l'un des deux scénaristes. Point de vue appuyé par le réalisateur Marco Tullio Giordana, qui explique : « Je ne veux pas faire ici un discours psychologique, mais plutôt phénoménologique. En tant que réalisateur, je suis conduit à m'occuper davantage du comment que du pourquoi ». C'est un parti pris qui est bien visible au visionnage de La meglio gioventu, et c'est justement en écartant le tic de la justification systématique que le film a réussi à toucher à une très grande sensibilité.

A la base un téléfilm en quatre épisodes, La meglio gioventu a mérité qu'on lui donne sa chance sur grand écran. Même si le film se montre moins critique et moins percutant dramatiquement dans sa seconde partie que dans sa première, il reste d'un niveau globalement très bon. Les thèmes et sentiments évoqués sont universels, la teneur du film est profondément humaniste et les acteurs sont très convaincants. A savourer... sur la longueur...