7/10Le Masque de Fer

/ Critique - écrit par riffhifi, le 27/07/2009
Notre verdict : 7/10 - A la fois en fer et en taule ! (Fiche technique)

Tags : masque fer louis homme xiv prisonnier saint

Jean Marais promène le panache usé du capitaine d'Artagnan dans une comédie respectueusement tirée du roman d'Alexandre Dumas. Contre toute attente, il s'agit de sa seule adaptation française !

A n'en pas douter, Les trois mousquetaires est l'œuvre d'Alexandre Dumas qui a le plus subi les assauts du cinéma et de la télévision, de 1911 à aujourd'hui (voire demain, puisqu'une nouvelle adaptation est en préparation à Hollywood). Mais ses deux suites, Vingt ans après et Le vicomte de Bragelonne, furent moins chanceuses et ne
générèrent qu'une poignée de films (ce qui n'est pas si mal !), qui le plus souvent les mélangeaient en une seule histoire, faisant une tambouille opportune afin d'en tirer un maximum d'action et de divertissement. Rien d'étonnant à ce que, de ces deux bouquins, on ne retienne globalement qu'une seule intrigue, qui pourtant n'occupe en tout et pour tout qu'une moitié du Vicomte de Bragelonne : le mystère du masque de fer. Celui-ci, enfermé sur l'île Ste-Marguerite à la fin du XVIIème siècle, a longtemps enflammé les esprits en raison de son anonymat et de la grande déférence dont il semble avoir été entouré durant ses trente ans de captivité. A ce jour, on ignore toujours qui il pouvait être... Dumas propose une explication bien fantaisiste, puisqu'il fait du bonhomme un frère jumeau de Louis XIV, qui aurait été enfermé pour protéger la nation d'un schmilblick royal. Une hypothèse plus qu'improbable, d'autant que le roman est situé plusieurs dizaines d'années avant l'incarcération réelle du véritable masque de fer... Mais qu'importe, on nage dans le romanesque, l'imaginaire, et l'essentiel est de pouvoir faire revenir Athos, son fils Raoul (le vicomte de Bragelonne, nous y voilà), d'Artagnan, Porthos et Aramis.

Le film tourné en 1962 par Henri Decoin se contente de reprendre l'idée du frère jumeau, sans pousser beaucoup plus loin le travail d'adaptation. Des quatre mousquetaires, il ne reste plus que d'Artagnan, incarné par un Jean Marais qui sortait des succès du Bossu (1959) et du Capitan (1960). Agé de 49 ans, l'acteur
assume ici de se retrouver dans la peau d'un personnage vieillissant, dont les faits d'armes et les années glorieuses sont derrière lui (« si vous m'aviez connu il y a vingt ans ! ») ; Gascon impénitent et théâtral, il rugit continuellement de tonitruants « Mordious ! » et se voit régulièrement débordé par les évènements. A l'inverse de ses deux précédents rôles d'aventuriers, qui se mêlaient de sauver la France pour le plaisir du geste, le mousquetaire qu'il joue cette fois aimerait rester loin des affaires de l'état et se consacrer à courtiser sa belle. Il se révèle d'ailleurs mauvais comme un cochon dans l'enquête qu'il doit mener, et ne tire son épingle du jeu que lorsqu'il est question de ferrailler avec l'adversaire, quel qu'il soit. D'ailleurs, à choisir, il préfèrerait laisser filer son prisonnier avec la belle Isabelle que d'aller à l'encontre de leur amour naissant...

Choisissant la voie de la comédie, parfaitement rythmée et souvent hilarante bien qu'assez enfantine, Decoin prend à contre-pied le film de cape et d'épées traditionnel, préférant montrer une poignée de personnages cocasses et humains qui ne demandent qu'à être laissés tranquilles. On oubliera rapidement le couple de jeunes tourtereaux (Jean-François Poron joue à la fois Louis XIV et Henri, mais dans quoi d'autre l'a-t-on vu ?...), mais on se délectera du Jean Rochefort époque "Angélique", qui prête ici sa trogne et sa voix chaude au sympathique brigand Lastreaumont.

Curieusement, ce film reste à ce jour la seule adaptation française (ô combien infidèle) du Vicomte de Bragelonne et de son histoire de masque de fer. On recense pourtant une version espagnole, une version italienne (co-réalisée par
Henri Decoin lui-même, un an avant celle-ci !), et plusieurs versions américaines dont deux sortent du lot : celle de 1929 avec Douglas Fairbanks (Le masque de fer), qui marquait la transition entre sa période muette et sa courte période parlante ; et celle de 1998 (L'homme au masque de fer) qui reste la plus fidèle au roman (sans se forcer), avec Leonardo DiCaprio, Gabriel Byrne, John Malkovich, Jeremy Irons et Gérard Depardieu. Aucune des deux n'est aussi humblement rafraîchissante que celle qui voit Jean Marais déclarer en brettant : « Je me bats contre n'importe quoi, je me bats pour rester jeune, et mériter ainsi de vous plaire »...