7/10Mammuth

/ Critique - écrit par nazonfly, le 13/05/2010
Notre verdict : 7/10 - Eléphantesque (ahahaha) (Fiche technique)

Tags : film mammuth depardieu benoit kervern moto critique

Un Delépine / Kervern, c'est comme un bon vin. Ça a un goût légèrement acide, c'est rond en bouche et finalement on y revient forcément. A déguster.

Mammuth est le nom d'une moto mythique, mais c'est surtout le surnom de Serge Pilardosse, ouvrier boucher dans une petite entreprise familiale. Serge a travaillé toute sa vie, enchaînant les petits boulots : videur, ouvrier métallurgiste, vigneron... Pour lui, l'heure a sonné : il est assez vieux pour prétendre à une retraite bien méritée. Mais dans sa nouvelle vie, il est comme un ours en cage, rongé par l'inactivité, inadapté à une vie oisive. L'espoir viendra de la complexité de l'administration : il doit partir à la recherche de ses trimestres perdus pour toucher sa pleine retraite. Chevauchant sa moto, Mammuth prend la route d'un passé oublié.

J'ai mal à mon travail

Gégé on the road again
Gégé on the road again
Echappé de
Groland, le duo Kervern / Delépine en est déjà à son quatrième film. Avec le temps, leur oeuvre brosse un portrait grinçant de notre société, l'attaquant parfois de manière frontale (Louise Michel), parfois de manière plus détournée. C'est le cas de Mammuth qui ne s'appesantit pas sur le sujet des retraites, sujet pourtant porteur ces dernières années. Au contraire, le film s'interroge plutôt sur le travail en lui-même, comment il règle nos vies, comme il les emplit et nous laisse déboussolé quand il s'arrête. Pilardosse n'a ainsi jamais cessé de travailler, ne s'est jamais accordé de véritables loisirs. Ses rares instants libres étaient mis à profit pour se reposer des semaines fatigantes des ouvriers. Difficile ainsi de lever la tête du guidon pour voir un autre horizon que son travail et sa paye misérable. Pilardosse, comme la majeure partie des autres personnages de Mammuth, est un forçat des temps modernes, un esclave exploité par ses patrons, mais aussi dans le même temps un salaud de privilégié puisque retraité. Etrange paradoxe d'un monde dans lequel les plus pauvres se battent contre les plus pauvres.

Art brut

Il a pas un peu forci Léo ?
Il a pas un peu forci Léo ?
Mais Mammuth c'est surtout le portrait d'un homme hanté par son passé. Campé par Gérard Depardieu qui rejoint ainsi une bande de comédiens bien installés dans cet univers (Yolande Moreau, Bouli Lanners, Bruno Lochet, Benoît Poelvoorde), Serge Pilardosse est à la fois puissant et fragile, et toujours d'une naïveté étonnante et touchante. Le passé qui remonte le met devant ses doutes et ses cauchemars, et notamment cette ancienne petite amie aux yeux bleus et au visage ensanglanté, jouée par une Isabelle Adjani déroutante. Mais c'est pourtant cette folle chevauchée qui va lui permettre de rencontrer sa nièce, longtemps oubliée. Une nièce autiste et artiste qui va lui ouvrir les yeux et le changer de fond en comble, lui permettre d'exprimer ce que sa massive carcasse cache. Cette rencontre qui change Pilardosse donne aussi une nouvelle dimension au film qui s'ouvre sur l'art brut, censé être en dehors de toute influence artistique. Miss Ming dont la figure lunaire traversait déjà Louise Michel se fait le chantre de cet art dérangé et dérangeant.

Comme les précédents films de Gustave Kervern et Benoît Délépine, Mammuth est une œuvre humaniste qui parvient à toucher le spectateur. Certes pour plonger dans cet univers, il vaut mieux commencer avec Louise Michel, mais Mammuth reste un film qui réussit à attirer la sympathie du spectateur.