8/10Il était une fois en Chine

/ Critique - écrit par Nicolas, le 13/08/2010
Notre verdict : 8/10 - Big troubles in little China (Fiche technique)

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Presque vingt ans avant Expendables, Jet Li avait une grande natte et tabassait les méchants occidentaux. Mais c'était pour la bonne cause.

Si nous connaissons Jet Li pour ses apparitions dans certains quasi-nanars américains (The One, Rogue : l'ultime affrontement), il est néanmoins l'un des pratiquants d'arts martiaux les plus fameux du cinéma. Une bonne raison pour Stallone de l'engager pour son grand film d'action Expendables : Unité Spéciale, prévu pour le 18 août 2010.
En attendant, retour sur un des films les plus marquants de l'opulente filmographie de Jet.


La modification du titre en parallèle de l'occidentalisation du film montre bien la différence des cultures. Aux Etats-Unis et en France, on parle de Il était une fois en Chine (Once upon a time in China), affublant le scénario d'une touche de mythologie, alors qu'en Chine le film sort sous le nom Wong Fei-Hung, en hommage à son personnage principal. En 1991, son année de sortie, le film de Kung-fu n'est pas encore complètement intégré dans notre paysage cinématographique contemporain, il faudra attendre une dizaine d'années supplémentaires pour qu'Ang Lee perce le box office occidental avec Tigre & Dragon - tandis qu'en orient, il se positionne comme un genre majeur de la production chinoise même si sa popularité décroît depuis les années 70. Tsui Hark revitalise cette race de spectacle balancée entre le film d'action et la démonstration martiale, grâce à un personnage emblématique de sa culture : Wong Fei-Hung, donc.
Le nombre de films impliquant cette grande figure de l'histoire chinoise est proprement astronomique, puisqu'on en dénombre plus d'une centaine (le premier étant daté de 1949). Wong Fei-Hung (ou Huang Feihong selon les traductions) a réellement existé au XIXème siècle, à la fois en tant que précepteur de Kung-fu de premier ordre et comme médecin traditionnel. Sa personnalité charismatique et la constance de ses qualités morales l'ont érigé en icône de l'héroïsme chinois, et comme maître incontesté d'arts martiaux.


Tsui Hark nous le ramène sous les traits de Jet Li, alors âgé de 28 ans. Malgré sa relative jeunesse, l'acteur doit supporter une lourde responsabilité : incarner Wong Fei-Hung à une l'époque où sa popularité est la plus haute, à la fois maître de Kung-fu, médecin, instructeur militaire, et chef de la milice locale. Les premières images du film positionnent le personnage, populaire et respecté, tout en posant les bases de ce qu'il sera au long du film : une victime. Wong Fei-Hung n'est pas un moteur de l'intrigue, c'est un observateur qui cherche à ne pas prendre parti et à conserver une situation de paix. La première scène du film le montre bien : Wong ne se retourne pas contre les agresseurs, il préfère continuer la Danse traditionnelle du Lion. Autrement dit, c'est lorsque que la justice flanche que Wong intervient, mais toujours dans l'idée de conserver l'équilibre ; dans aucun cas il n'a d'influence sur les évènements globaux qui l'affectent. Ces derniers le pressent à prendre parfois position, en le mettant au milieu de différences d'opinions l'amenant à se battre et à devenir une prétendue menace aux yeux du pouvoir en place. Une situation que veut rejeter Wong, tenant à sa neutralité.
L'autre menace est plus personnelle. Si Wong représente les arts martiaux dans toute sa sagesse, Yim en est l'antithèse. Lui, ce qu'il désire, c'est la reconnaissance et le prestige, et s'il faut pour cela affronter Wong en combat singulier, ainsi soit-il. Yim ne semble pas être un mauvais bougre, surtout que sa condition de vagabond désoeuvré tant à expliquer son comportement, mais il représente une forme de danger immédiat dans le monde de Wong. L'ambition de Yim l'amène à pactiser avec des forces hors-la-loi, et vulgariser l'art martial pour le transformer en spectacle, ce qui est contraire à la philosophie du héros. Etonnant de constater ça lorsqu'on voit de quelle façon Tsui Hark filme les combats, indéniablement traités comme des spectacles un peu irréels que comme des affrontements terre-à-terre.


L'intrigue au sens large s'inscrit dans un contexte historique tout à fait identifiable : l'occidentalisation de la Chine. Le progrès, la modernité posent les premières bases d'un monde nouveau qui entraîne forcément une certaine part de rejet, et donc de violence. L'occidental, anglais ou américain, est représenté dans la forme la plus typée qu'il fut possible de construire : violent, non respectueux, et envahissant au possible. Le gouvernement Mandchou alors en place le suit corps et âme, oppresse le peuple pour qu'il adhère aux nouvelles mœurs, et menace l'équilibre de paix auquel Wong aspire. Ce dernier n'est pas en opposition avec son gouvernement, il ne fait que porter un regard et accepter le changement autant qu'il le peut, tout en veillant à ce que le pays ne sombre pas. La rencontre entre les deux mondes donne lieu d'ailleurs à quelques scènes assez insolites teintées d'un humour typiquement chinois.
Si Jet Li n'est pas très bon acteur, il est néanmoins un athlète martial d'une très grande qualité. Tsui Hark en profite pour livrer quelques scènes de combat très impressionnantes à la limite du réalisme - cette petite ligne qu'il s'amusera à franchir régulièrement pour y revenir juste après. Les personnages, aidés par un jeu de câbles invisibles, échappent à la gravité et font preuve de talents d'équilibristes hors normes, ce qui donne aux affrontements des allures un poil fantastiques. Nous sommes encore loin des délires visuels de Tigre & Dragon, mais les protagonistes de Il était une fois en Chine paraissent tout de même être des surhommes, des personnages de conte fantastique, ce qui nous renvoie à la symbolique du titre VF. Mais même en dehors de ça, ils demeurent des artistes martiaux de premier ordre, à la souplesse et à la précision étonnantes, magnifiquement mis en valeur par la caméra de Tsui Hark qui n'a pas d'égal pour rendre un combat lisible au possible.

En s'attaquant à la chine du XIXème siècle et au mythe de Wong Fei-Hung, Tsui Hark redore les kanjis du film de Kung-fu et signe un de ses réalisations les plus abouties. Le film, aux ramifications multiples, connaîtra un certain nombre de suites très inégales, dont la plus célèbre reste encore La Secte du lotus blanc.