9/10El efecto K, le doigt dans l’œil

/ Critique - écrit par Hugo Ruher, le 20/10/2013
Notre verdict : 9/10 - Au-delà du cinéma (Fiche technique)

Ce film est une fiction qui ressemble à un documentaire. Mais c’est aussi un film historique avec des espions. Ou un film d’espionnage inspiré de faits réels. C’est aussi une dénonciation des horreurs du stalinisme et une parabole sur l’image et le rôle du cinéma. El efecto K : el montador de Stalin c’est un peu tout ça, et on va essayer de démêler cet ovni. Courage...

C’est très difficile de décrire El efecto K, une œuvre unique découverte lors du festival Cinespana qui s’amuse à perdre le spectateur et à défaire tout ce à quoi on est habitué en termes de genres cinématographiques. Pour résumer, on pourrait dire que c'est un film d’espionnage déguisé en documentaire, mais ce serait réducteur. Essayons tout de même.

On suit le parcours de Maxime Stransky, un fier militant pour le stalinisme qui se passionne pour le cinéma, aidé en cela par son ami de toujours, Sergueï Eisenstein. Et ça tombe bien car comme on est sur Krinein on va parler culture : pour ceux qui l’ignorent, Sergueï Eisenstein est un réalisateur de propagande sous Staline, notamment auteur du Cuirassée Potemkine. Sa technique unique de se servir du montage pour suggérer des émotions a révolutionné le cinéma et est utilisée encore aujourd’hui. Il a rendu célèbre l’effet Koulechov : les images n’ont de sens qu’assemblées aux autres. C’est-à-dire que si vous voyez un homme inexpressif et juste après une assiette de soupe, vous direz que l’homme a faim. Alors que si l’image suivante est l’affiche d’After Earth, vous direz qu’il a peur.

 
Certains plans tiennent du documentaire, d'autres sont très esthétiques.

 

Bref, pour en revenir au film. Stransky s’oppose à Eisenstein justement sur cette conception de l’image. Eisenstein croit à l’effet Koulechov, où le cinéma est un « doigt » qui sert à créer de l’art là où il n’y a que le réel. Pour Stransky, au contraire, c’est un « cinéma-œil » qui ne sert qu’à montrer la vie, la vraie. Le montage et tout le reste n’est qu’un artifice.

Mais leur querelle sera quelque peu interrompue par notre cher Staline qui les recrute pour des missions d’espionnage. A partir de là, on suit Stransky à travers ses aventures qui le mènent au Mexique, en France ou à Hollywood, tout en délaissant sa famille et en espionnant les américains pour le compte du dictateur.

 

Staline a compris qu'on pouvait faire mentir l'image

C’est à travers cette opposition que l’on aborde le règne de la manipulation par l’image : le stalinisme. Ici, le monteur n’est autre que Staline qui modifie le monde selon ses règles, parfois concrètement en effaçant les opposants des photos. Stransky représente alors la première victime : lui, profond admirateur de Staline se retrouve manipulé et détourné, « Staline nous a montré la lumière, et elle nous aveugle tant qu’on ne peut que le suivre. »

On le voit, El efecto K est très proche de l’histoire, et on se demande à certains moments où s’arrête la fiction et où commence la réalité. Le film lui-même nous perd. Toujours dans son jeu d’images suggestives il enchaîne les images d’archives, les acteurs, ou d’autres plans plus abstraits sans transition. Comme Koulechov met bout à bout des images pour leur donner une nouvelle signification, El efecto K nous ballade entre histoire et invention pour nous faire entrevoir une troisième voie.

Et cette voie c’est le cinéma. A la fois créateur d’art à partir de rien et meilleur témoin objectif de son temps, le cinéma peut être le doigt ou l’œil selon ce qu’on en fait. De même, El efecto K peut être un film d’espionnage documentarisé ou un documentaire romancé.

 
Eisenstein et Stransky, l'oeil et le doigt.

 

Mais tout ça c’est bien beau mais au final, que vaut le film ? Pourquoi une note aussi élevée ? Concrètement, on peut dire que c’est plutôt lent, parfois assez abscons pour qui ne rentre pas dans la musique. Ce n’est pas le genre de film que l’on va voir pour se détendre et ne penser à rien. El efecto K questionne en permanence le spectateur et ne lui laisse pas de répit. On ne peut pas se contenter de se laisser porter, il y a en permanence un travail intellectuel à faire.

Cette note ne signifie donc pas qu’on s’approche du film parfait, mais qu’on est face à un exercice unique qui ne trouve pas d’équivalent et qui ne se laisse pas dompter facilement. En sortant de la salle, je n’étais pas complètement certain d’avoir aimé, mais El efecto K laisse des marques et des questions comme peu de films peuvent le faire.

Une dernière chose. J’ai conscience que je ne suis peut-être pas très clair dans cette critique alors n’hésitez pas à demander si vous voulez en savoir plus sur le film. Et n’hésitez pas à visiter ce site pour en savoir plus.