Dossier spécial : Les livres à ne jamais adapter en film

/ Dossier - écrit par Hugo Ruher, le 11/03/2013

Tags : film adaptation livre cinema films auteur roman

Encore une ! Encore une adaptation d’un grand classique de la littérature ! Encore une adaptation de Victor Hugo ! Encore une adaptation des Misérables ! Et oui cette fois c’est Tom Hooper qui s’y colle avec une version chantée d’un des plus grands classiques de la littérature française (une pensée pour tous ceux qui se sont étouffés avec une bouchée de lasagnes au poney en lisant ça), avec Hugh Jackman en Jean Valjean. Même Gérard Depardieu doit se retourner dans son goulag en voyant ça.

Bon plus sérieusement, le film a l’air d’avoir plutôt bien été accueilli par la critique mais je n’ai pu éviter un léger « lol » en entendant chanté à la manière d’un opéra : « -I’m Jean Valjeaaaaaan. -And I’m Jabeeeeert. Never forget that naaaaaaaame. » Bref, encore un type qui s’est dit que de toutes façons c’est Victor Hugo donc on peut faire tout ce qu’on veut ce sera jamais mauvais. En tout cas pas pire que l’Homme qui rit.

On rigole, on rigole mais adapter Victor Hugo en film c’est pas forcément la pire idée du siècle. C’est romanesque, les personnages sont hauts en couleurs, les intrigues sont profondes et le message politique reste toujours très actuel. Bref, on a vu bien pire comme idée d’adaptation, comme par exemple la bataille navale ou Hansel et Gretel. Mais ça ne veut pas dire que parce qu’une œuvre est un classique, elle doit absolument devenir un film à succès et des idées qui paraissent bonnes peuvent finir en pièges à cons.

Nous allons donc prendre les devants et prévenir le monde du cinéma du danger qui l’attend en faisant la liste des classiques littéraires à ne jamais adapter en film. C’est parti pour le dossier Krinein spécial : ces livres qu’on ne voudrait pas voir en film.

 

Proust’s adventures : the curse of the time

Pour tous les passionnés de littérature, Proust est un peu difficile à aborder. Le genre qu’on ne peut pas se permettre de dire que c’est chiant en public mais qu’on souffre bien en lisant. Son œuvre principale s’intitule A la recherche du temps perdu, une grande fresque autobiographique divisée en plusieurs volumes dont les plus connus sont les premiers : Du côté de chez Swann et A l’ombre des jeunes filles en fleurs.

Là, les plus cinéphiles ou les plus accros de Wikipédia me diront : « Mais ça a déjà été adapté en film bougre d’idiot. Même avec Catherine Deneuve. On devrait vous passer les doigts à la ponceuse pour que vous arrêtiez d’écrire des inepties bande de pseudo-journalistes qui se la pètent avec un site au nom grec. » Et je vous dirais que oui, mais jamais en entier et jamais avec beaucoup de réussite il faut le dire.

Si un scénariste voulait s’atteler à la tâche, il devrait prendre en compte toute les réflexions de l’auteur, qui freine facilement l’action durant une trentaine de pages pour détailler toutes les émotions des personnages. Il devrait aussi faire avec les longues descriptions de ce qu’inspirent à Proust la vision de bouquets d’aubépines ou l’odeur d’une madeleine.


Avec ça Proust a tenu dix pages. On doit pouvoir en tirer une demi-heure de film.

Comment traduire à l’écran une histoire où la majorité des choses se passe dans l’esprit du narrateur et des personnages ? Facile, en mettant des vampires ou de la 3D mais là on s’éloigne du sujet.

 

Heureux qui comme Ulysse, etc…

Pour ceux qui ont lu Proust, vous vous rappelez certainement à quel point vous avez souffert. Si ce n’est pas le cas, tentez du James Joyce. Le bon côté des choses avec Ulysse c’est que ce n’est pas le genre de truc qu’on nous fait lire à l’école, du coup ceux qui l’ont lu l’ont fait volontairement et c’est bien fait pour eux. Pour ceux qui ne connaitraient pas, résumons un peu l’histoire : « deux types sont à Dublin. »

Voilà.

Okaaay j’ai le résumé et maintenant je regarde le bouquin dont le poids menace de briser ma bibliothèque. Et bien il faut croire que dans le genre digression spirituelle on est pas mal non plus. Je m’explique. Joyce voulait avant tout une réflexion sur les monologues intérieurs et la complexité de l’esprit humain face à la diversité des points de vue que l’on peut adopter. En gros, on suit en direct les pensées des personnages qui apparemment pensent à beaucoup de choses pendant leur ballade à Dublin. Des personnages qui se disent que de toute façon, la ponctuation c’est pour les nuls et qui peuvent déblatérer mentalement pendant près d’une centaine de pages sans s’arrêter.


Un monologue intérieur de ces deux-là ça doit faire un court-métrage à la rigueur.

Du coup, à quoi pourrait ressembler un tel film ? A un métrage incroyablement lent avec des gros plans sur les visages et une voix off retranscrivant les pensées ? Ou à un enchevêtrement  d’effets censés restituer ce que voient intérieurement les protagonistes ? En tout cas, le peu de gens qui ont réussi à lire Ulysse jusqu’au bout n’ont apparemment pas essayé d’en faire un film. Mais si jamais quelqu’un s’y attaque, le mieux qu’il puisse faire c’est… et bien encore une fois, les vampires et/ou la 3D ça pourrait aider.

 

Et Tolkien créa Dieu

Adapter le Seigneur des Anneaux en trois films ça tombe sous le sens. Faire Bilbo ça peut être acceptable. Après tout, le monde de Tolkien est tellement imagé, dense et épique que le retranscrire à l’écran apparait comme une évidence même si la tâche est ardue. Et après les succès qu’ont connu les films tirés des œuvres susmentionnées, il est cohérent d’imaginer une adaptation du Silmarillion.

Devant tant d'espoir, les fans ont l’œil qui brille et un filet de bave dégoulinant jusqu’à l’intégrale Blu-ray du Seigneur des Anneaux étrangement posée en permanence sur leurs genoux même s’ils ne cessent de repéter que « Bouh c’est pas fidèle d’abord, y’a même pas Tom Bombadil meuheuheu ». Mais pour les néophytes, il faut dire que le Silmarillion n’est pas l’œuvre la plus connue de Tolkien. C’est l’ouvrage où il raconte la création du monde avant que ça ne devienne la Terre du Milieu. En gros, des sortes de dieux ont créé l’univers en jouant de la musique et puis, paf des Hommes, pif des Elfes, et pouf des guerres.


Les cosplayers bossent sur le sujet.

De nombreux illustrateurs ont cherché à mettre des images sur les mots de Tolkien et bien souvent, le résultat fut superbe. Il faut dire que dans l’écriture ésotérique et cosmogonique de l’auteur, il y avait de quoi faire au niveau créativité et tout ça donne de nombreuses idées visuelles remarquables. Mais qu’en est-il de la possibilité d’en faire un film ?

À ma connaissance, ça n’a jamais été tenté par aucun réalisateur et pour cause, le scénario serait vraiment étrange. Déjà, il faut dire que ça se passe sur plusieurs millénaires. Et il faudrait raconter la genèse de l’univers avec des personnages pour la plupart indéfinissables et surtout très nombreux. Pas de vrai héros ni de vrai méchant, une mythologie étrange et complètement nouvelle… Au mieux, on aurait un film de fan pour les fans, mais les autres seraient complètement laissés de côté.

Une adaptation cinématographique du Silmarillion serait donc uniquement une succession de belles images très créative mais avec un scénario lent et illisible comptant la création du mo… Ah ben non en fait autant pour moi c’est déjà fait. Il a même eu une palme il me semble.

 

Inutile de digresser plus longtemps chers Krinautes, vous avez compris l’idée. Ce n’est pas parce qu’un livre est bon, parce qu’il est un classique ou parce qu’il a une grosse fanbase qu’il faut se sentir obligé d’en faire un film. Dans ces cas-là, et ce message s’adresse aux scénaristes qui, j’en suis sûr, lisent assidument Krinein, écrivez une histoire originale. Pourquoi prendre la peine de faire un film à partir d’un récit de SF du début du siècle, on sait d’avance que c’est foiré. On pourrait croire qu’on a eu droit à à peu près toutes les imbécilités, un paroxysme symbolisé par l’adaptation d’un jeu de société. Mais l’industrie du cinéma ne reculera devant rien pour adapter encore et toujours de nouveaux produits improbables au cinéma.

Hier, des livres. Aujourd’hui, des jeux de société, des jeux vidéos... Demain, pourquoi pas un yaourt sans sucre, une espadrille, Ebay. Après tout, à en croire Hollywood, n’importe quoi peut servir de base à un film donc allons-y gaiement.