Dossier cinéma - Les années quatre-vingt-dix (1990-1999)

/ Dossier - écrit par riffhifi, le 26/06/2009

Devenu centenaire, le cinéma offre plusieurs milliers de nouvelles œuvres de 1990 à 1999. Entre le prolongement des traditions et l'irruption de nouveautés (technologiques et / ou narratives), la décennie s'avère hybride.

En décembre 1995, le cinéma devient officiellement un art centenaire. Les années 90 se présentent comme le lieu d'un croisement, celui du classicisme et de la révolution formelle, cette dernière tirant à la fois vers le perfectionnement technique et vers la démocratisation. Deux directions diamétralement opposées, qui ne sont pas la seule spécificité de la décennie, marquée par l'éclosion d'un cinéma auto-référencé qui se nourrit de plus en plus de sa propre histoire et cultive la complicité avec le spectateur.


Certains vieux maîtres continuent leur carrière imperturbablement. Woody Allen entame sa troisième décennie de tournage, toujours à raison d'un film par an ; on remarque un retour à la comédie policière le temps de deux films, et un retour au noir et blanc le temps de deux autres : la comédie fantastique Alice en 1990, Ombres et brouillards en 1991, Maris et femmes en 1992, Meurtre mystérieux à Manhattan en 1993, Coups de feu sur Broadway en 1994, Maudite Aphrodite en 1995, la comédie musicale Tout le monde dit I love you en 1996, Harry dans tous ses états en 1997, Celebrity en 1998 et le faux documentaire Accords et désaccords en 1999. Martin Scorsese attaque fort les années 90, avec un incontournable appelé Les Affranchis (Robert De Niro, Ray Liotta et Joe Pesci), puis propose des œuvres d'une qualité en dents de scie : Les nerfs à vif en 1991 (un remake, à nouveau avec De Niro), Le temps de l'innocence en 1993, Casino en 1995 (retour du duo Pesci - De Niro, avec l'ajout de Sharon Stone), Kundun en 1997 et A tombeau ouvert en 1999 (avec Nicolas Cage dans un rôle qui évoque celui de Robert de Niro  dans Taxi Driver). Francis Ford Coppola voit sa carrière décliner jusqu'au point où on le pense retiré de la réalisation (il n'y reviendra qu'en 2007) : Le Parrain 3 clôt péniblement en 1990 une saga qui se passait bien de cet épisode ; le Dracula maniéré de 1993 est perçu comme son dernier bon film (il produira ensuite une autre résurrection d'un mythe horrifique : le Frankenstein de Kenneth Branagh en 1994), suivi de la piteuse comédie Jack (1996) avec Robin Liam Neeson dans La liste de Schindler
Liam Neeson dans La liste de Schindler
Williams et du polar L'idéaliste (1997). Steven Spielberg voit sa troisième décennie de succès : après le semi-bide Hook (1991) qui tentait de prolonger les aventures de Peter Pan, il cartonne avec Jurassic Park (1993) et sa suite Le monde perdu (1998) qui génèrent par ailleurs un paquet de plagiats fauchés comme Carnosaur, remporte l'Oscar du meilleur réalisateur pour le drame La liste de Schindler (1993, également Oscar du meilleur film), essuie un échec avec Amistad (1996) et livre un film de guerre prenant avec Il faut sauver le soldat Ryan (1998). La même année, l'Italien Roberto Benigni, fort de son succès remporté trois ans plus tôt avec Le monstre, livre sa propre version de la deuxième guerre mondiale appelée La vie est belle : il y montre un homme soucieux de préserver l'âme de son fils jusque dans un camp de concentration. A rapprocher de la comédie dramatique française (elle aussi sortie en 1998 !) Train de vie. Terry Gilliam, après une traversée du désert de quelques années, revient grâce à deux films de commande qu'il transcende par sa vision : Fisher King en 1991 et L'armée des 12 singes en 1996 ressemblent incontestablement à des films de Gilliam bien qu'il ne les ait pas écrits, et il lâche les vannes en 1998 avec l'incroyable Las Vegas Parano dans lequel Johnny Depp et Benicio Del Toro traversent le désert (eux aussi) sous l'influence de drogues hallucinogènes ; ses ex-confrères des Monty Python se font moins remarquer : Terry Jones sort Erik le Viking en 1990 et Le vent dans les saules en 1996, tandis que John Cleese peine à retrouver le succès d'Un poisson nommé Wanda avec Créatures féroces (1997). Ridley Scott constitue la plus grosse déception de la décennie : après le célèbre road-movie tragique Thelma et Louise de 1991, il ne tourne que trois films sans intérêt appelés 1492 Christophe Colomb (avec Gérard Depardieu), Lame de fond (avec Jeff Bridges) et A armes égales (G.I. Jane). Clint Eastwood cesse de tourner dans les films qu'il ne réalise pas, à l'exception du thriller Dans la ligne de mire de Wolfgang Petersen (1994) ; il réalise Clint Eastwood dans Impitoyable
Clint Eastwood dans Impitoyable
certains des meilleurs films de sa carrière, puis revient aux polars à suspense qui ont fait sa gloire : il incarne d'abord en 1990 un fac-similé de John Huston sur le tournage d'African Queen dans Chasseur blanc cœur noir, puis signe le divertissement bourrin La relève la même année, avec Charlie Sheen en jeune flic ; puis vient le splendide Impitoyable en 1992, western crépusculaire qui remporte plusieurs Oscars (dont ceux du meilleur film et du meilleur réalisateur), le thriller dramatique Un monde parfait avec Kevin Costner en 1993, la romance Sur la route de Madison en 1995 avec Meryl Streep, le polar politique Les pleins pouvoirs en 1997, le plus subtil Minuit dans le jardin du bien et du mal (dans lequel Eastwood ne joue pas) en 1998, et le polar Jugé coupable en 1999. Michael Mann, après avoir fait de Daniel Day-Lewis le Dernier des Mohicans en 1992, met en scène Al Pacino dans deux thrillers aux enjeux différents : Heat (1995) est un polar voleurs/gendarmes où Pacino est opposé à l'autre légende de l'Actor's Studio, Robert De Niro ; et Révélations est un film de procès où Russell Crowe se fait réellement remarquer, deux ans après l'intéressant L.A. Confidential. Stanley Kubrick, attendu pendant douze ans, se décide à sortir son dernier film Eyes wide shut en 1999, avec Tom Cruise et Nicole Kidman ; malheureusement, il meurt peu de temps après avoir fini le film. Terrence Malick, qui aime lui aussi l'attente entre les films, sort La ligne rouge, qui traite de la seconde guerre mondiale, en 1998 (décidément, c'était l'année pour ce sujet !) ; son film précédent datait de 1978.

Les réalisateurs découverts au cours des années 80 continuent dans la lancée de leurs premiers films. Tim Burton laisse sa créativité s'exprimer à l'aide des moyens confortables dont il dispose désormais, mais se cantonne progressivement à l'exercice de style et à l'hommage : il ravit les amateurs de son univers avec Edward aux mains d'argent en 1990, défie les gros studios avec le pervers Batman le défi en 1992 (qui sera suivi en 1995 et 1997 des faiblards Batman forever et Batman & L'étrange Noël de M. Jack
L'étrange Noël de M. Jack
Robin
de Joel Schumacher), écrit et produit activement le film d'animation L'étrange Noël de Monsieur Jack en 1994, rend hommage à un tâcheron de la série Z dans Ed Wood en 1995, évoque la SF kitsch à l'ancienne dans Mars attacks en 1997 et ressuscite un conte traditionnel avec Sleepy Hollow en 1999. Les frères Coen, Joel et Ethan, confirment leur talent et gagnent en maturité avec cinq films aux tons bien différents : le polar Miller's crossing en 1990, le kafkaïen Barton Fink en 1991, l'inventif et délicieux Le grand saut en 1994, le thriller enneigé Fargo en 1996, et surtout le culte et dingo The big Lebowski en 1998. Oliver Stone signe en 1991 deux films consacrés à la mort de célébrités (JFK sur la mort de Kennedy, et The Doors sur celle de Jim Morrison), puis enchaîne sur Entre ciel et terre (1993), Tueurs nés (1994), Nixon (1995), U-Turn (1997) et L'enfer du dimanche (1999). Ron Howard a définitivement mis derrière lui ses années Happy Days pour devenir un cinéaste rentable : Backdraft en 1991 (avec Kurt Russell), Horizons lointains en 1992 (avec Tom Cruise et Nicole Kidman), Le journal en 1994 (avec Michael Keaton), Apollo 13 en 1995 (avec Tom Hanks), La rançon en 1996 (avec Mel Gibson) et En direct sur EdTV en 1999 (avec Matthew McConaughey) prouvent qu'il n'a pas de genre de prédilection. Mike Figgis se fait remarquer essentiellement pour son drame alcoolisé Leaving Las Vegas (1995), qui vaut à Nicolas Cage l'Oscar du meilleur acteur.


Kiefer Sutherland dans Dark City
Kiefer Sutherland dans Dark City
Au rayon des révélations, les cinéastes à l'univers personnel sont souvent complexes et torturés : Darren Aronofsky avec son thriller mathématique Pi (1999), Alex Proyas avec ses fantaisies noir foncé The Crow (1994) et Dark City (1998), le Canadien Vincenzo Natali avec le géométrique Cube (1998), le réalisateur de clip Spike Jonze avec son fantasque mais oppressant Dans la peau de John Malkovich (1999), James Gray avec le plus réaliste Little Odessa (1994)... Baz Luhrmann, avec son univers coloré et ses montages ultra-cut, apparaît presque comme une sorte d'alternative à cette tendance avec Ballroom Dancing (1992) et Roméo+Juliette (1996).

On note également une propension à l'humour noir et à la violence. La révélation de la décennie s'appelle Quentin Tarantino : employé de vidéo-club depuis de nombreuses années, il est l'icône de la génération élevée par les vidéocassettes ; nourri de films dès son plus jeune âge, son cinéma est d'une nature essentiellement référentielle et revendique sa violence et son humour cinglant ; si Reservoir dogs (1992) remporte un franc succès critique et un relatif succès public, c'est son deuxième film Pulp fiction (1994) qui consacre Tarantino et lui vaut la Palme d'Or au Festival de Cannes, remise par le prestigieux président de cette édition, Clint Eastwood. Sa troisième réalisation, Jackie Brown (1998), aura plus de mal à convaincre. Entre-temps, ses scénarios se sont arrachés : le controversé Tueurs nés est mis en scène par Oliver Stone et le road-movie criminel True romance par Tony Scott. Il rencontre également le cinéaste mexicain Robert Rodriguez, avec qui il se découvre de nombreuses affinités. Rodriguez tourne avec Antonio Banderas un remake de son propre film El Mariachi, appelé Desperado (1995) : Tarantino y fait une apparition le temps de raconter une blague ; les deux hommes se retrouvent la même année pour le film choral Groom service (Four rooms), dont ils réalisent chacun un segment. Par la suite, ils tournent ensemble Une nuit en enfer, que Rodriguez réalise tandis que Tarantino écrit le script et joue Jean-Claude Dreyfus dans Delicatessen
Jean-Claude Dreyfus dans Delicatessen
aux côtés de la star montante George Clooney et du vétéran Harvey Keitel. Rodriguez termine la décennie en tournant le film de science-fiction The faculty. Autre pays, autre approche de l'humour noir : en France, le duo formé par Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro s'extirpe du format court pour réaliser le long métrage Delicatessen, une perle relatant avec drôlerie et poésie le quotidien d'un immeuble dans lequel on mange de la chair humaine ; le deuxième film du duo, La cité des enfants perdus (1995) louche plus du côté de Jules Verne et de la science-fiction de bande dessinée, et c'est en solo que Jeunet termine la décennie en allant tourner Alien la résurrection aux USA. De son côté, c'est parès une courte carrière de comique mordant qu'Albert Dupontel s'impose à la fois comme un acteur intense et comme un scénariste-réalisateur inventif avec Bernie (1995) et Le créateur (1999). Après le discret Métisse (1993), Mathieu Kassovitz (fils du réalisateur Peter Kassovitz) s'impose à la critique et au public avec La haine (1994), un film traitant avec esthétisme du problème des banlieues, où le fils de Jean-Pierre Cassel se révèle un excellent comédien ; Mathieu Kassovitz et Vincent Cassel continueront leurs carrières séparément, le premier comme réalisateur et acteur d'Assassin(s) (1997), le deuxième comme vedette de films aussi différents que L'appartement (1996) et Doberman (1997), avant de se retrouver sur Les rivières pourpres en 2000. Christophe Gans, ancien rédacteur du magazine Starfix, passe à la réalisation en 1996 en adaptant le manga Crying Freeman avec Mark Dacascos en tueur à gages romanesque. Parmi les personnalités françaises émergentes, celle de Bruno Podalydès est à la fois plus légère et plus littéraire : avec son frère Denis Podalydès, futur sociétaire de la comédie française, il écrit le moyen métrage Versailles Rive Gauche qu'il réalise en 1992, et passe au long en 1998 avec Dieu seul me voit (Versailles-Chantiers). Quant à Gérard Depardieu, il est officiellement LE plus boulimique des acteurs français, traversant la décennie en trente films (et deux téléfilms) et trente rôles de taille variable mais souvent massive, de Cyrano de Bergerac (dont il tient le rôle-titre) à Astérix et Obélix contre César (Obélix), en passant par 1492 (Christophe Colomb), Mon père ce héros ET son remake américain, Germinal, Le colonel Chabert (rôle-titre, aux côtés de Fabrice Luchini et Fanny Ardant), La machine, Les anges gardiens (comédie plum-pudding de Jean-Marie Poiré, avec Christian Clavier) et L'homme au masque de fer (il joue Porthos).

Au Royaume-Uni, où l'humour noir se manie avec une facilité bien connue, le jeune Guy Ritchie réalise le tarantinesque Arnaques, crimes & botanique avec Jason Flemyng, Vinnie Jones et Jason Statham, et l'Ecosse dévoile un nouveau nom : Danny Boyle ; réalisateur de séries TV, il crée la surprise avec sa comédie macabre Petits meurtres entre amis (1994) qui révèle du même coup les acteurs Ewan Ewan McGregor dans Trainspotting
Ewan McGregor dans Trainspotting
McGregor et Christopher Eccleston ; en 1996, Boyle retrouve McGregor pour Trainspotting (1996), un film sur les junkies des années 80 qui reste un des plus marquants... des années 90 ; en revanche, ils négocient avec peine le virage hollywoodien, remportant un accueil mitigé pour leur comédie romantico-fantastico-policière Une vie moins ordinaire (1998). Au Japon, dans un style encore différent, c'est le fascinant Takeshi Kitano qui émerge : connu précédemment pour ses activités de présentateur télé couillon sous le nom de Beat Takeshi, il se forge une filmographie de réalisateur-acteur saluée pour sa force et son occasionnel humour à froid : Sonatine, A scene at the sea, Kids return et surtout Hana-bi le hissent au rang des grands réalisateurs, même si son Eté de Kikujiro déçoit en 1999. En Chine, Jet Li et Jackie Chan acquièrent progressivement une renommée internationale, le premier avec les aventures de Wong Fei-Hong (Il était une fois en Chine et ses suites) et le deuxième avec les suites de Police Story et Drunken Master ; tous deux commenceront leur exportation occidentale en 1998, Li avec L'arme fatale 4 et Chan avec Rush Hour. Le réalisateur John Woo possède déjà une solide renommée à Hollywood, relayée par des fans comme Quentin Tarantino, et il traverse le Pacifique dès 1993 avec le Van Damme Chasse à l'homme ; il tourne ensuite Broken Arrow (1995, avec John Travolta et Christian Slater), Volte/Face (1997, avec John Travolta et Nicolas Cage) et les téléfilms Les repentis et Blackjack (avec Dolph Lundgren), pilotes de séries TV avortées.

En Italie, Nanni Moretti impose définitivement sa patte avec quatre de ses films les plus mémorables : La cosa (1990), Journal intime (1993, palme de la réalisation au Festival de Cannes) et Aprile (1998). Plus à l'ouest, en Espagne, Pedro Almodovar n'a plus rien à prouver, et opère une décennie en creux, commencée en fanfare Victoria Abril dans Talons aiguilles
Victoria Abril et Marisa Paredes
dans Talons aiguilles
par l'excellent Talons aiguilles (1991) et terminée brillamment par l'incroyable mélo Tout sur ma mère (1999), mais traversée entre les deux par trois semi-échecs qui n'en demeurent pas moins attachants : Kika (1993), La fleur de mon secret (1995) et En chair et en os (1997 : dans ce dernier, on découvre le jeune Javier Bardem qui prendra son envol au cours des années suivantes). En Allemagne, c'est Tom Tykwer qui émerge en 1998 avec le film d'action expérimental Cours Lola cours ; il n'en est pas à sa première réalisation puisqu'il a déjà signé Maria la maléfique en 1993 et Les rêveurs en 1997.


Le Festival de Cannes, après quelques Palmes d'or étonnantes remises à de jeunes cinéastes prisés du public, préfère se tourner à nouveau vers les œuvres d'habitués du coin (le genre que personne ne va voir en salles, mais dont il est classe d'avoir lu la critique dans Télérama). Ainsi, David Lynch, les frères Coen et Quentin Tarantino se voient respectivement récompensés en 1990, 1991 et 1994 pour Sailor & Lula, Barton Fink et Pulp Fiction, et le yougoslave Emir Kusturica remporte la Palme en 1995 pour Underground, l'histoire d'une joyeuse communauté qui vit dans les sous-sols depuis la Seconde Guerre Mondiale en ignorant qu'elle est terminée ; Kusturica n'a pas attendu Cannes pour remporter le succès avec Arizona Dream (1993, avec Johnny Depp et Jerry Lewis), et il continuera en 1998 avec le remuant Chat noir chat blanc. 1993 était une année Anna Paquin et Holly Hunter dans La leçon de piano
Anna Paquin et Holly Hunter
dans La leçon de piano
d'égalité entre La leçon de piano de Jane Campion et Adieu ma concubine de Kaige Chen. A partir de 1996, on est dans l'intimisme : Secrets et mensonges de Mike Leigh en 1996, L'anguille de Shohei Imamura et Le goût de la cerise d'Abbas Kiarostami en 1997, L'éternité et un jour de Theo Angelopoulos en 1998, et Rosetta des frères Dardenne en 1999. USA, Suède (Les meilleures intentions en 1992), Chine, Angleterre, Yougoslavie, Japon, Iran, Grèce, Belgique : en cette décennies 90, les palmes d'or de Cannes sont remises à des représentants de tous les pays... sauf la France ! L'autre grand absent est la Pologne, en ceci que le réalisateur Krzysztof Kieslowski aurait pu aisément remporter la Palme pour sa trilogie Trois couleurs (Bleu, Blanc, Rouge) si Pulp Fiction n'avait pas créé l'événement en 1994 au sein du jury présidé par Clint Eastwood. Kieslowski n'aura plus l'occasion de se distinguer : le réalisateur du Décalogue et de La double vie de Véronique est mort en 1996, à 54 ans.


Révélé au cours des années 80 comme une sorte de "Woody Allen noir", Spike Lee se révèle sérieusement concerné par le statut et l'image des Afro-Américains, ce qu'il cristallise dans sa biographie du leader idéaliste Malcolm X (1993, avec Denzel Washington) ; cinéaste prolifique, il réalise également Mo' Better Blues (1990), Jungle Fever (1991), Crooklyn (1994), Clockers (1995), Girl 6 (1996), Get on the Bus (1996), He Got Game (1998) et le thriller Summer of Sam (1999). La reconnaissance qu'il obtient permet à d'autres réalisateurs noirs de s'exprimer à leur tour : les frères Hugues dans Menace II Society, John Singleton dans Boyz n the Hood... Mais seul Spike Lee survivra artistiquement au passage à l'an 2000, conservant à la fois son intégrité et sa visibilité.

Certains réalisateurs, spécialisés dans un cinéma fantastique aux couleurs très personnelles, livrent de nouveaux fleurons de leur œuvre atypique. Le vieux briscard John Carpenter commence par essuyer un semi-échec avec Les aventures d'un homme invisible (1992) qu'il reniera par la suite, puis signe l'excellent L'antre de la folie (1994) ; suivront un remake (Le village des damnés en 1995) et une suite de son propre New York 1997 (Los Angeles 2013 en 1996, attention aux dates), avant de clore sa décennie sur le féroce Vampires (1998). David Cronenberg, toujours farouchement attaché à ses obsessions, déroutera pourtant son public avec le drame romantique M. Butterfly en 1993, après avoir réalisé Le festin nu malgré le caractère supposément inadaptable du roman, et se tourne ensuite vers l'érotisme trash de J.G. Ballard dans Crash (1996), puis la vision décalée de l'univers des jeux vidéos dans eXistenZ (1999). David Lynch commence la Sharon Stone dans Basic Instinct
Sharon Stone dans Basic Instinct
décennie avec la conclusion cinématographique de sa série TV Twin Peaks, qu'il intitule Fire walk with me (1990), puis il se tourne vers le road-movie romantique passionné (Sailor & Lula), le thriller surréaliste à la limite de l'onirisme (Lost highway) et, plus étonnant, le road-movie paisible avec un vieillard en tracteur (Une histoire vraie). Encore plus furieusement indépendant et underground, Jim Jarmusch tourne A night on Earth, le western Dead man avec Johnny Depp, et l'étonnant Ghost Dog avec Forest Whitaker en samouraï noir ventripotent. Pour Joe Dante, poulain de Roger Corman puis de Spielberg, c'est malheureusement la pente descendante : Gremlins 2 fait des entrées mais déconcerte le public, Panic à Florida Beach (1993) fait un bide et Small Soldiers (1998) passe carrément inaperçu. Le Hollandais Paul Verhoeven, après s'être fait une place à Hollywood avec Robocop, creuse le sillon de la provoc et de la violence subversive sans rencontrer d'opposition des studios : le film de science-fiction Total Recall (1990) et surtout le thriller érotique Basic Instinct (1992, dans lequel Sharon Stone décroise les jambes pour dévoiler un sexe qui fera la joie des médias de l'époque) remportent un large succès, même si son sulfureux Showgirls (1995) fait un bide et que le space opera Starship Troopers (1998) déroute le public par son mélange de bourrinage et de second degré. Steven Soderbergh, après avoir été révélé en 1989 par Sexe, mensonges et vidéo, peine à trouver un public dans les années 90 : Kafka, King of the hill, Underneath, Gray's anatomy (rien à voir avec la série des années 2000, d'ailleurs ça ne s'écrit pas pareil), le film expérimental Schizopolis, le polar avec George Clooney et Jennifer Lopez Hors d'atteinte et le polar décalé L'Anglais avec Terence Stamp sont autant d'expressions de la personnalité polymorphe d'un réalisateur qui ne touchera le grand public qu'à la décennie suivante. En 1995, le scénariste Christopher McQuarrie et le réalisateur Bryan Singer se font connaître avec l'étonnant thriller Usual Suspects ; Singer tournera ensuite Un élève doué, d'après Stephen King, avant d'être contacté pour tourner X-men qui sortira en 2000 ; quant à l'acteur Kevin Spacey, lui aussi révélé par Usual Suspects, on le retrouve dans le premier long métrage de Sam Mendes, American Beauty (1999), qui remportera les Oscars du meilleur film, du meilleur acteur et du meilleur réalisateur. Deux réalisateurs découverts dans les années 80 avec leurs joyeusetés gore opèrent au cours des années 90 leur ascension vers les sommets d'Hollywood qui leur seront ouverts dans les années 2000 : il s'agit de Sam Raimi et Peter Jackson. Le premier, après sa décennie Evil dead mais avant sa décennie Spider-man, passe progressivement du film de genre secoué (Darkman, L'armée des ténèbres, Mort ou vif) au film de commande mesuré, voire calibré (Un plan simple, Pour l'amour du jeu). Le deuxième, pas encore à la tête de la trilogie du Seigneur des anneaux, commence par boucler son cycle horrificomique avec le cultissime Braindead (1993), avant de réaliser le magnifique Créatures célestes (1995) inspiré d'une histoire vraie, le documenteur Forgotten silver (1995) sur le pionnier cinéaste fictif Colin McKenzie, et la comédie fantastique Fantômes contre fantômes (1997) avec Michael J. Fox.

Le serial killer est un sujet porteur : dès 1990, Le silence des agneaux met en scène le fou furieux Hannibal Lecter (Anthony Hopkins) en conseiller technique de l'agent du FBI Clarice Starling (Jodie Foster) : le film atteint si bien son but qu'il rafle les cinq Oscars principaux (meilleurs film, réalisateur, scénario, acteur et actrice), une prouesse qui n'a que deux précédents, New York-Miami en 1934 et Vol au-dessus d'un nid de coucou en 1976. Pourtant, Le silence des agneaux est ébranlé de son piédestal lorsque David Fincher réalise Seven avec Morgan Freeman et Brad Pitt dans Seven
Brad Pitt dans Seven
Brad Pitt en 1995 : son tueur obsédé par les péchés capitaux est le catalyseur de profondes angoisses, et le cinéaste confirme son talent après le film de commande Alien3 (1991) ; il livre ensuite le thriller ludique mais anodin The Game en 1997, et lance un gros pavé dans la mare appelé Fight club en 1999, retrouvant Brad Pitt en très grand forme quatre ans après Seven, face à Edward Norton qui venait de se distinguer dans American History X (1998). Ressuscitant le slasher movie en l'extirpant du premier degré qui le caractérisait jusqu'alors, Wes Craven joue de la mise en abîme dès Freddy sort de la nuit (1994), une aventure atypique du croquemitaine Freddy Krueger qui décide de s'attaquer... à son créateur et à son interprète ! Cette démarche obtiendra un plus franc succès dans le moins cérébral Scream (1996), qui recycle les codes du films d'horreur avec malice et autodérision ; suivront Scream 2 (1997) et Scream 3 (2000), plus primaires mais pleins de clins d'œil, et une nouvelle vague de slashers à l'ancienne appelés Souviens-toi l'été dernier ou encore Urban legend. Du coup, peu de gens se souviennent que Wes Craven a également mis les années 90 à profit pour réaliser Le sous-sol de la peur (1991), Un vampire à Brooklyn (1995, mélange raté de comédie et d'horreur avec Eddie Murphy) et le drame La musique de mon cœur (1999). Quant à Joel Schumacher, entre un Batman et une adaptation de John Grisham, il signe l'excellent suspense Chute libre (1993, Michael Douglas pète les plombs) et le thriller poisseux 8mm (1999, Nicolas Cage contre les snuff movies).

Le succès du romancier Stephen King ne faiblit pas, contrairement au prestige des films adaptés de son œuvre : outre quelques téléfilms de qualités variables, on recense pas mal de séries B parmi les nouvelles productions tirées de ses écrits : La créature du cimetière (1990), La nuit déchirée (1992), les cinq suites de Children of the Corn, le raté La part des tènèbres (1993) de George Romero, Le Bazaar de l'épouvante (1994) The Mangler (1995) de Tobe Hooper avec Robert Tim Robbins et Morgan Freeman dans Les évadés
Tim Robbins et Morgan Freeman dans Les évadés
Englund, La peau sur les os (1996), Les ailes de la nuit (1997) sont de pauvres séries B, tandis que les drames Dolores Claiborne (1995) et Un élève doué (1998) sortent dans l'indifférence générale. Trois exceptions à la médiocrité général : Misery de Rob Reiner (1990) avec James Caan et Kathy Bates, et le duo Les évadés (1994) / La ligne verte (1999) de Frank Darabont, deux histoires de prison qui ont marqué le public. Michael Crichton et John Grisham sont les deux autres vainqueurs de la décennie en termes d'adaptation ; ce dernier occupe le créneau du thriller politico-juridique avec La firme (1993, avec Tom Cruise et Gene Hackman), L'affaire Pélican (1994, avec Julia Roberts et Denzel Washington), Le client (1994, avec Tommy Lee Jones), L'héritage de la haine (1997, avec Gene Hackman), Le droit de tuer (1996, avec Sandra Bullock), L'idéaliste (1997, par Francis Ford Coppola) et The Gingerbread Man (1998, par Robert Altman avec Kenneth Branagh).


Le cinéma d'action est écartelé entre deux directions : la subsistance des années 80 et l'arrivée des années 2000. Dans le premier camp, on retrouve les têtes d'affiche Sylvester Stallone (Tango et Cash en 1990, Rocky V en 1990, Cliffhanger en 1993, Demolition man en 1994, Judge Dredd en 1995 - il s'autorise un détour vers le drame avec Copland en 1996), Arnold Schwarzenegger (Last action hero en 1993, True lies en 1994, L'effaceur en 1997), Bruce Willis (58 minutes pour vivre en 1990, Une journée en enfer en 1995, Le chacal en 1998, La fin des temps en 1999), Chuck Norris (Sidekicks en 1993), Jean-Claude Van Damme (Full contact en Bruce Willis dans Une journée en enfer
Bruce Willis dans Une journée en enfer
1990, Universal soldier en 1992, Chasse à l'homme en 1993, Timecop en 1994, Street fighter en 1995), Christophe Lambert (Highlander 2, 3, Face-à-face, Fortress 1 et 2, Deux doigts sur la gâchette, La proie, Mortal Kombat, Adrénaline, Mean Guns, le giga-nanar Beowulf, Resurrection) et Steven Seagal (Justice sauvage en 1991, Piège en haute mer en 1992, Terrain miné en 1994, Piège à grande vitesse en 1995, Ultime décision en 1996, L'ombre blanche en 1996, Menace toxique en 1997, Piège à haut risque en 1998) dans leurs derniers films de bourrin ; la série des Arme fatale continue en 1993 et 1998 (entre les deux, Mel Gibson s'illustre comme réalisateur avec l'épique Braveheart en 1995, qui remporte l'Oscar du meilleur film) ; l'ex-chef opérateur Jan De Bont fait un succès avec Speed (1994) et un bide avec Speed 2 (1997) ; James Bond fait un come-back sous les traits de Pierce Brosnan en 1995 dans Goldeneye, et obtient un succès qui permet la production de Demain ne meurt jamais (1997) et Le monde ne suffit pas (1999) ; et Zorro trouve une nouvelle jeunesse le temps d'un film où Anthony Hopkins et Antonio Banderas incarnent deux générations de héros (Le masque de Zorro, 1998). Dans le deuxième camp, on observe l'arrivée d'un nouveau courant symbolisé en fin de décennie par Matrix des frères Wachowski (déjà auteurs en 1996 du thriller Bound, et scénaristes du film de Richard Donner Assassins, avec Stallone et Antonio Banderas) : le film d'action intègre désormais les technologies informatiques comme l'image de synthèse, et mise davantage sur l'histoire que sur la seule personnalité des stars. Les premiers signes de cette tendance sont visibles dès Terminator 2 (1991) avec Keanu Reeves dans Matrix
Keanu Reeves dans Matrix
son T-1000 liquide, et surtout Jurassic Park (1993), où Steven Spielberg anime des dinosaures, ressuscitées grâce à la technologie (dans l'intrigue du film comme dans sa production) les principales attractions. Dans Matrix, on trouve également l'intégration de la culture du jeu vidéo, qui fait désormais partie intégrante des mentalités et n'est plus un simple divertissement destiné aux enfants. En 1998, eXistenZ de David Cronenberg explore également cet univers, mais se voit mal accueilli par les gamers, qui y voient le regard cynique d'un auteur qui ne s'intéresse pas à titre personnel au monde vidéoludique. Entre les deux tendances, des cinéastes comme Michael Bay et Roland Emmerich font usage des nouvelles technologies sans pour autant convoyer de propos ancré dans une quelconque modernité : Bad Boys, The Rock, Armageddon pour le premier, Stargate, Independence day et Godzilla pour le deuxième témoignent plutôt d'une volonté de maquiller de vieilles formules à l'aide d'effets spéciaux flambants neuf. L'acteur Kevin Costner, campé sur de vieilles valeurs du cinéma grand public, se laisse progressivement dépasser par la décennie : il commence par les triomphes de Danse avec les loups (qu'il réalise en 1990, et qui remporte l'Oscar du meilleur film), Robin des Bois et Bodyguard, avant d'empiler des échecs de plus en plus cuisants appelés Wyatt Earp, Waterworld, Tin Cup et The Postman.


L'année 1997 est celle d'un mammouth nommé Titanic. Si le réalisateur James Cameron avait pu paraître cantonné au cinéma de genre (Terminator 2 en 1991 constituait une révolution en termes d'effets spéciaux mais restait un film de SF pour hommes, True Lies en 1994 tirait vers la comédie mais manquait d'ambition), il parvient avec ce film historique à rallier tous les publics. Romance, action, drame, discours social, reconstitution historique, Titanic a de quoi plaire à tout le monde et arbore fièrement une durée épique (3h20). Vainqueur de plusieurs Oscars dont celui du meilleur film, il devient pourtant rapidement un sujet de blague, notamment Tom Hanks dans Forrest Gump
Tom Hanks dans Forrest Gump
à cause de la chanson de Céline Dion et de la relation jugée cucul du couple formé par Kate Winslet et Leonardo DiCaprio. Cette année-là, seul Pour le pire et pour le meilleur sortit son épingle du jeu, obtenant les deux récompenses d'interprétation pour Jack Nicholson et Helen Hunt. Au rayon Oscar, l'autre sensation de la décennie est Forrest Gump, sorti en 1994 entre deux bides de son réalisateur Robert Zemeckis (La mort vous va si bien en 1992 et Contact en 1997), pourtant béni dans les années 80 par les Retour vers le futur et Roger Rabbit. Retraçant une partie de l'Histoire des USA à travers le parcours d'un simplet à qui la vie sourit car il la considère comme une boîte de chocolats, le film remporte les statuettes du meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur, meilleur scénario, meilleur montage et meilleurs effets spéciaux (ces derniers mêlent prises de vue et images d'archives) ; Tom Hanks recevait l'Oscar du meilleur acteur pour la deuxième fois consécutive, puisqu'il avait déjà été récompensé pour le drame Philadelphia l'année précédente ; il ne sera "que" nominé pour Il faut sauver le soldat Ryan en 1998. Au troisième rang des chouchous, on trouve Le Patient anglais d'Anthony Minghella en 1996, qui remporte les Oscars du meilleur film, de la meilleure réalisation, de la meilleure photographie (John Seale), de la meilleure actrice secondaire (Juliette Binoche), de la meilleure direction artistique (Stuart Craig), des meilleurs costumes (Ann Roth), du meilleur montage (Walter Murch), de la meilleure musique (Gabriel Yared) et du meilleur son. Les Oscars réservèrent également quelques surprises, décernant notamment le prix du meilleur film 1998 (et six autres prix) à la bluette Shakespeare in Love.

Arrivant en fin de décennie, entre Matrix et la promesse d'un Seigneur des Anneaux en 2001, le nouveau Star Wars de George Lucas appelé La menace fantôme (1999) déçoit les fans malgré une attente de quinze ans ; le film remporte Jake Lloyd et Liam Neeson dans Star Wars I : La menace fantôme
Jake Lloyd et Liam Neeson dans
Star Wars I : La menace fantôme
néanmoins un beau succès au box-office, et confirme le statut de jeunes acteurs comme Natalie Portman et Ewan McGregor. En France, Luc Besson est notre George Lucas, avec son look rondouillard et barbu : suite au succès du Grand Bleu, il tourne Nikita en 1990, le très personnel et vite oublié Atlantis en 1992, le franco-américain LéonJean Reno incarne un tueur à gages ému par une fillette (Natalie Portman dans son premier rôle), la superproduction Le cinquième élément avec Bruce Willis et une imagerie digne du magazine Métal Hurlant, et Jeanne d'Arc avec une Milla Jovovich curieusement anglophone. En 1998, il écrit et produit (avec sa jeune société Europacorp) la comédie d'action Taxi, qui sera le pionnier d'une collection de films populistes et racoleurs égrenés au cours des années 2000.


La comédie américaine, après le déclin progressif de la vague ZAZ (Y a-t-il un flic pour sauver le président ou Hollywood, Hot Shots 1 et 2, la désertion de Jerry Zucker parti tourner Ghost en 1990 et Lancelot en 1994) et quelques classiques instantanés au début des années 90 (le fantastique Un jour sans fin Bill Murray revit sans cesse la même journée, le subtil Héros malgré lui qui oppose Dustin Hoffman à Andy Garcia autour de Geena Davis), accueille un dénommé Jim Carrey, qui cartonne dans Ace Ventura chiens et chats (1994) et surtout The Mask (1994), film aux effets spéciaux cartoonesques révolutionnaires mis en scène par Chuck Russell. Avec Dumb & Dumber, il emmène avec lui les frères Farrelly dans les feux des projecteurs : Bobby et Peter auront à cœur de pratiquer un humour régressif mais pas forcément dénué d'âme ni d'humanité. Face à cette nouvelle génération de comiques, à laquelle appartiennent également Adam Sandler (Waterboy en 1998, Big Daddy en 1999), Ben Stiller (Flirter avec les embrouilles, Mary à tout prix des frères Farrelly, Mystery Men), Mike Myers (Wayne's World 1 & 2, Austin Powers 1 & 2) et Rob Schneider (Touche pas à mon périscope, 1995), le Harold Ramis d'Un jour sans fin (1992) peine à faire cartonner des acteurs pourtant brillants comme Michael Keaton (dans l'astucieuse histoire de clonage Mes doubles ma femme et moi, 1996) ou Billy Crystal (opposé à Robert de Niro dans Mafia Blues, 1999). En 1999, Chris Weitz ouvre la porte à un type de comédie encore plus gras avec American Pie, qui connaîtra nombre de suites et dérivés toujours plus jeunistes et vulgaires. En France, les comiques de la génération Splendid remportent encore un succès qui commence à se muer en ringardise : Les visiteurs en 1993 consacrent Christian Clavier comme acteur comique, mais les poussifs La soif de l'or, La vengeance d'une blonde et Les visiteurs 2 : les couloirs du temps le font progressivement apparaître en ersatz has-been de Louis De Funès ; Michel Blanc et Gérard Jugnot s'en sortent mieux en œuvrant derrière la caméra, le premier avec Grosse fatigue et le deuxième avec Une époque formidable, Fallait pas et Casque bleu. Le réalisateur Etienne Chatiliez poursuit sa collaboration avec la scénariste Florence Quentin pour les acides Tatie Danielle (1993) et Le bonheur Vincent Elbaz et Romain Duris dans Le péril jeune
Vincent Elbaz et Romain Duris
dans Le péril jeune
est dans le pré (1995). Cédric Klapisch émerge en 1994 avec le téléfilm Le péril jeune, qui sort au cinéma, révèle Romain Duris et Vincent Elbaz, et devient culte ; Klapisch avait déjà signé le plus confidentiel Riens du tout en 1992, avec Fabrice Luchini, et réalise par la suite Chacun cherche son chat (1995), Un air de famille (1996) adapté de la pièce du duo Jean-Pierre Bacri / Agnès Jaoui et Peut-être (1999). La nouvelle génération de comiques est représentée par deux collectifs issus de la télévision : les Nuls (Alain Chabat, Chantal Lauby et Dominique Farrugia) et les Inconnus (Didier Bourdon, Bernard Campan, Pascal Légitimus) font leur passage au cinéma respectivement en 1994 et 1995, avec La cité de la peur et Les trois frères ; les premiers imposent un humour absurde quasiment anglo-saxon, tandis que les seconds jouent plutôt la carte de l'humour social et de l'émotion ; dans les deux cas, l'équipe se sépare pour mener différents projets : Alain Chabat réalise et interprète Didier en solo, Pascal Légitimus ne s'implique pas dans Le pari de ses deux compères. Dans un registre plus noir et plus belge, l'acteur Benoît Poelvoorde émerge en 1993 avec C'est arrivé près de chez vous, et commence à devenir une figure familière à la fin de la décennie avec Les randonneurs (1997) et Les convoyeurs attendent (1999). En 1997, le chanteur de Trust Bernie Bonvoisin crée la surprise en réalisant la comédie culte Les démons de Jésus ; puis il se viande en 1999 avec Les grandes bouches.

Les comédies romantiques reviennent à la mode, d'abord avec l'américain Nuits blanches à Seattle (Tom Hanks et Meg Ryan), puis par la voie de l'Angleterre et du film 4 mariages et un enterrement. Hugh Grant devient le héros britannique du genre, on le retrouve dans L'Anglais qui gravit une colline mais descendit une montagne (1995), Neuf mois (1995), Raison et sentiments (1996) et Coup de foudre à Notting Hill (1999, avec Julia Roberts).


Une mode typique des années 90 consiste à adapter à l'écran les séries télévisées à succès : en 1991, le chef opérateur Barry Sonnenfeld (à qui on doit, entre autres, les images des premiers films des frères Coen et de Misery) passe à la réalisation avec La famille Addams, qu'il gratifie d'une suite en 1993 appelée Les valeurs de la famille Addams. En 1993, Harrison Ford incarne le Dr. Richard Kimble dans Le Fugitif, mais voit sa performance éclipsée par Tommy Lee Jones, qui remportera Harrison Ford dans Le Fugitif
Harrison Ford dans Le Fugitif
l'Oscar du meilleur second rôle et se verra offrir une suite centrée sur son personnage (US Marshals). En 1994, Mel Gibson joue le rôle-titre de Maverick, au côté de l'interprète de la série James Garner. En 1996, Brian De Palma réalise le premier Mission : impossible, perversion de la série d'origine qui donnera naissance à deux suites sans rapport. En 1997, c'est au tour de Simon Templar, Le Saint, d'être porté au grand écran sous les traits de Val Kilmer ; bien que le public ait en tête l'image de Roger Moore, il ne s'agit pas à proprement parler d'une adaptation de la série télé, puisque l'histoire réinvente les origines du personnage tel qu'il est décrit dans les romans de Leslie Charteris. En 1998, la série à succès X-files génère un long métrage cinématographique qui s'insère entre deux saisons en cours de diffusion. La même année, Ralph Fiennes, Uma Thurman et Sean Connery se commettent dans une lamentable adaptation de Chapeau melon et bottes de cuir, qui reprend les éléments de la série de façon mécanique et désincarnée. Et en 1999, Barry Sonnenfeld boucle la boucle en s'attaquant aux Mystères de l'ouest dans un Wild wild west décrié par le public et la critique malgré la présence de Will Smith, popularisé par les films de science-fiction Independence day (1996) et Men in Black (1997).

Le jeu vidéo, que l'on n'appelle pas encore le Dixième Art, commence pourtant à apparaître comme une source d'inspiration de quelques films d'action particulièrement ridicules : Super Mario Bros (1993), Street Fighter (1994), Double Dragon (1994) et Mortal Kombat (1995) sont les porte-étendards de cette tendance qui prendra son envol quelques années plus tard.

Les studios Walt Disney redressent la barre après une baisse de notoriété dans les années 80, injectant plus d'humour dans leurs dessins animés : La Belle et la Bête (1991) amorce timidement la tendance, Aladdin (1992) la consacre avec la performance vocale de Robin Williams en génie, Le Roi Lion (1994) bifurque vers l'émotion et les chansons d'Elton John, Pocahontas (1995) remporte un succès moindre, Le Bossu de Notre-Dame (1996) trahit allègrement Victor Hugo, Hercule (1997) revisite la mythologie grecque, Mulan (1998) les légendes orientales, et Toy Story
Toy Story
Tarzan
(1999) se la joue grand classique.

En 1995, un nouveau type de cinéma faisait son apparition : avec Toy Story, on découvrait le film d'animation entièrement généré par ordinateur, sans dessin papier ni marionnette. Certains commencent bien vite à prophétiser l'extinction des acteurs, destinés à être remplacés par des doubles virtuels. A ce stade pourtant, l'animation en image de synthèse se contente de représenter de petits bonshommes bien rudimentaires, contrairement à la motion capture qui fera son apparition dans les années 2000. De 1995 à 1999, on savourera donc Fourmiz, 1001 pattes et Toy Story 2, tandis que les images de synthèse se démocratisent en tant qu'effets spéciaux dans les productions live.


Une réalité s'impose progressivement au cours de la décennie : la pratique du cinéma devient accessible à tous. En parallèle du développement phénoménal des technologies en matière d'effets spéciaux, le simple particulier peut se saisir d'un caméscope et filmer ce qu'il veut dans son jardin, avec une liberté de tournage et de montage exceptionnelle. Plusieurs films témoignent de cette nouvelle approche Le projet Blair Witch
Le projet Blair Witch
du cinéma : Le projet Blair Witch (1999), tourné pour le prix d'une voiture par deux cinéastes totalement indépendants, fait en grande partie usage de la vidéo et mise sur le buzz que le film génère sur Internet... Fiction ou réalité ? Cette expédition en pleine forêt hantée d'une bande d'étudiants donnera des idées à nombre de cinéastes, professionnels ou non, au cours de la décennie 2000. Kevin Smith, quant à lui, ne mise pas sur la vidéo pour réaliser son film Clerks en 1994 : pourtant, c'est en noir et blanc et à l'aide d'un budget de misère (réuni grâce à la revente de sa collection de bandes dessinées) qu'il donne naissance à un film-culte qui lui donnera les moyens d'imposer son humour potache auprès d'un public d'amateurs. Au Danemark, c'est Lars Von Trier qui a l'idée choc en 1995, année des 100 ans du cinéma : avec la complicité de quelques autres réalisateurs, il établit la charte de Dogme 95, qui a pour but de forcer les réalisateurs à se concentrer sur l'histoire et les personnages. Les règles sont draconiennes : la caméra doit être portée, ni le son ni l'image ne peuvent être retravaillés après le tournage, le film doit se passer ici et maintenant, le réalisateur ne doit pas être crédité... Le Dogme fait parler de lui lorsque ses deux premiers fleurons sortent en salles en 1998 (Festen de Thomas Vinterberg et Les idiots de Lars von Trier), mais n'est pas vraiment suivi au cours des années suivantes, bien que de nombreux films se soient fait "certifier Dogme 95". On retiendra néanmoins Mifune de Soren Kragh-Jacobsen (dogme #3, 1999), Lovers de Jean-Marc Barr (dogme #5, 1999), Julien Donkey-boy de Harmony Korine (dogme #6, 1999) et Italian for beginners de Lone Scherfig (dogme #12, 2000). La filmographie de Lars Von Trier dans les années 90 suit une évolution logique jusqu'au dogme, du noir et blanc léché de Europa (1991) à la caméra portée de Breaking the Waves (1996), en passant par la fascinante série TV L'hôpital et ses fantômes (The Kingdom, 1994 et 1998).

Les années 2000 ne seront pas, contrairement à ce que les alarmistes prévoyaient, la fin du cinéma traditionnel. La pellicule ne cèdera pas complètement le pas au numérique, les acteurs virtuels ne remplaceront pas les vrais, et ni les téléviseurs Home Cinema ni Internet n'empêcheront les spectateurs de bouger leurs fesses pour aller découvrir les films sur grand écran... Mais la façon de faire les films aura nettement évolué, fruit des révolutions conceptuelles et technologiques dont les années 90 auront essuyé les plâtres. Quant à la consommation individuelle à domicile, elle explosera avec l'avènement du DVD, successeur de la VHS qui se popularise à partir de 1999, faisant la nique au Laser-Disc qui tente de s'imposer depuis environ quinze ans.