9/10The coast guard

/ Critique - écrit par knackimax, le 12/02/2008
Notre verdict : 9/10 - Un garde-côte fou dans une guerre sans ennemi peut-il faire des victimes ? (Fiche technique)

Dans cette fresque transcendante et polémique sur l'amour de son pays et la folie des hommes, Kim Ki-duk fait le lien entre l'ancien et le nouveau monde et abat les barrières entre le nord et le sud...

Le lieutenant Kang tient d'une main folle mais ferme son bataillon. Sous-officier tout-puissant d'une garnison en bordure de la Corée du Nord, son objectif est de capturer un espion s'introduisant dans la zone libre pour devenir un héros national. Sur le qui-vive du matin au soir, imposant à ses hommes des exercices inhumains et une rigueur incohérente dans ce paysage à l'abandon et dans une situation en fin de vie, il veille tel un fou de guerre dans un désert rempli d'ennemis de sable. Le village voisin est un village de pécheurs pacifistes qui cohabitent tant bien que mal avec l'occupant amical et vit des maigres fruits (de mer) de son activité. Un frère et sa sœur y vivent au bord de l'eau d'une vie simple et heureuse. Lors d'une virée avec son petit ami un peu trop près des barbelés du camp, là où l'on peut être tranquille pour vivre son amour, un accident survient. Croyant avoir affaire à un fameux espion du Nord, Kung fait exploser le jeune homme en situation irrégulière traumatisant ainsi la jeune fille recouverte des lambeaux de son amant. A la suite de cet épisode désastreux, la jeune fille tout comme Kung deviennent des fantômes au milieu d'un environnement en crise. Cette situation mènera Kim Ki-duk dans les pires atrocités descriptives et plastiques de sa carrière au cours d'un opéra cinématographique des plus incroyables.

Kim que l'on peut appeler ainsi car on le connait déjà un peu mieux étant donné qu'il s'agit de son 8ème film, à été militaire pendant cinq ans avant d'être cinéaste et règle très probablement des comptes en direct tant le ton est dur et intransigeant. Rappelons toutefois que l'armée en Corée est à l'époque obligatoire pour tous pendant une très longue période. La vision de son fou de guerre et la déconstruction qu'il apporte à l'institution au fur et a mesure de son récit derrière la disparition de l'animal qui se cachait derrière le lieutenant modèle, est d'une acuité hors norme. Le soldat devient une ombre dont la passion devient d'anéantir la ligne de démarcation. Consciemment, et avec une subtilité qui sera toujours étonnante, il nous chante sous les balles la douleur que représente cette barrière pour les hommes, la honte de la mort et la déception d'être en vie. La jeune femme, dont le traumatisme est compréhensible, devient elle aussi une enfant et se met à jouer à cache-cache avec tous les soldats qu'elle rencontre, rajoutant de la confusion à ce microcosme déjà incohérent. Les cellules familiales s'effondrent devant les jeux de ces deux enfants sans âges qui disparaissent dans le paysage. Ce thème n'est d'ailleurs pas sans rappeler le duo des personnages de Locataires. D'une famille à l'autre, la maladie se propage et notre virtuose met en scène des moments improbables, des rêves sans limites, des situations sans règles.

Ce film est important dans la filmographie du coréen virtuose de ces phrases qu'on ne dit qu'en images, important car il crée un nouveau lien affectif avec ce pays lointain. La photographie est enfin arrivée dans son monde et décuple le charme des images naturelles que KKD nous donnait maladroitement dans Adresse Inconnue. Certaines scènes sont enfin dignes des plus beaux films d'auteurs. L'environnement n'est pourtant que boue, cailloux et mer agitée mais l'amour du pays transperce la pellicule. Il est important également car nous avons un lien constant entre la campagne et la ville qui se crée pour nous accompagner dans notre voyage au milieu des sentiments. Mais surtout il est important parce qu'il signe et confirme que KKD veut nous parler de l'amour mais qu'il ne le peut pas, que cette partie du paysage psychologique est encore trop primaire mais qu'elle est sur la bonne voie et que si la folie nous abandonnes, alors pourquoi pas. En cadeau et pour la première fois, il nous permettra d'apercevoir une esquisse de la Corée du Nord.

Une fois de plus la vie n'est pas simple en Corée, même lorsqu'on est au Sud. Mais sans se décourager, et prouvant une fois de plus les ressources innombrables de son talent, KKD nous emmène dans un territoire vierge de nos connaissances limitées. Que ce soit en matière de Corée, d'impact psychologique de la guerre et inversement, de la paix, nous ne savons rien. Et partageant ses peurs et ses peines, cela finira une fois de plus dans le sang, un sang amer qui coule longtemps sans coaguler, un flot qui se construit, goutte après goutte, et qui nous fait remonter tous les sentiments que nous possédons pour les laisser dans notre gorge se serrer, se tordre, gênés par tant d'intimité. Il nous renvoie des images, pour notre âme, d'une caverne aux parois éclairées par ces moments de vie à peine rêvées, tout juste violés, dont nous n'aurions jamais pu sans lui regarder la moindre parcelle. La pointe de lyrisme aidant, nous pleurons car ce film est beau, ce film est bon.