8/10Cannibal holocaust

/ Critique - écrit par Lestat, le 20/02/2004
Notre verdict : 8/10 - Monstrueusement humain (Fiche technique)

Tags : film cannibal holocaust deodato realisateur films ruggero

Il y a des films dont le nom traîne une odeur de soufre ou de charogne. Des films dont il est difficile de dire si leur contenu est aussi célèbre que leur réputation. Cannibal Holocaust est sans doute le film qui représente le mieux ces oeuvres poisseuses que chacun rêve de voir mais que personne n'ose visionner, de peur de braver un interdit quelconque, de franchir une limite qu'il vaut mieux ne pas franchir. Le film de Deodato évoque immanquablement des images terribles, des images d'ultraviolence, de viols, de tortures d'animaux, de climat insoutenable... Des images amplifiées par une lointaine polémique qui comme toujours a fini par transformer en film culte un métrage que hier on jugeait bon à brûler. Cannibal Holocaust, film craint et honnis, adulé par certains, montré du doigt par d'autres connaît aujourd'hui un bien curieux sort. Le film que l'on planquait au dernier rayon des vidéo-clubs se trouve soudain en pleine lumière, dans toute la splendeur d'une édition DVD (in)attendue. Un DVD Uncut...

Ruggero Deodato, comme beaucoup de ses pairs transalpins, Castellari et Fulci en tête, a fait ses premières armes dans le Western. Chez Corbucci notamment, qu'il seconda sur quelques tournages, dont celui de son Django. Outre le western, il suit un peu tous les courants vaguement repompeurs du bis italien, s'illustrant dans le slasher (Le Camping de la Mort), le sous-Conan (Les Barbarians, grand moment de ridicule...), le film catastrophe (SOS Concorde) ou le polar musclé dans le pur style des années de plombs. Durant les années 70 et 80 en Italie, la mode est aux films de cannibales et le pays produit en quantités industrielles des oeuvres plus ou moins pertinentes et plus ou moins ratées. Citons la Montagne du Dieu Cannibale, nanar avec Ursula Andress, Mondo Cannibale de Jesus Franco ou encore Emmanuelle et les Cannibales (!!), de Joe D'Amato, par ailleurs auteur d'une légion de productions érotiques plus ou moins explicites, ceci expliquant cela. M6 a d'ailleurs toujours dans ses cartons un petit D'Amato pour combler sa tranche du dimanche soir. Déodato, qui a déjà un pied dans le domaine depuis Le Dernier Monde Cannibale en 78, nous livre en cette année 1979 non seulement ce qui restera sans doute comme le meilleur film de la mouvance mais aussi celui de tous les excès.

Le Dernier Monde Cannibale avait déjà créé son petit effet en son temps par son explicisme, ses violences envers les animaux et autres passages d'un goût douteux. Deodato a de l'audace et avec Cannibal Holocaust, il va encore plus loin. Au point de créer un traumatisme qui fait qu'aujourd'hui encore, le film est considéré comme l'un des plus crades du cinéma. Moins gore qu'un Braindead mais infiniment plus malsain, Cannibal Holocaust est un film violent. Ses scènes sanglantes sont traitées avec beaucoup de réalisme et si quelques rares effets se révèlent parfois pitoyables, certaines scènes purement snuff laissent un troublant relent de réalité. Non, Cannibal Holocaust n'a pas usurpé sa réputation qui a fait de lui une des références en la matière. Pourtant, ce serait une erreur de considérer le film de Deodato sur ses seules scènes de charcuterie. D'ailleurs, proportionnellement parlant, celles-ci sont loin d'être nombreuses. Car au-delà des délires nauséeux de son réalisateur et des concessions commerciales (la bonne vielle nudité gratuite des productions italiennes de l'époque...), Cannibal Holocaust se révèle être un coup de poing envoyé à la face des médias et des spectateurs.

Romero avait mixé film social et film de zombies. Deodato profitera de ses cannibales pour critiquer tout un système basé sur le sensationnel, l'image et le voyeurisme. L'histoire de Cannibal Holocaust est assez simple, mais novatrice dans son traitement. Une bande de quatre reporters, trois hommes et une femme, partent tourner dans l'Enfer Vert à la recherche de tribus cannibales. On ne retrouvera d'eux que leurs films. Tout ceci vous rappelle quelque chose ? C'est tout le concept d'un certain Projet Blair Witch que nous livre Déodato vingt ans avant le film de Myrick et Sanchez. Mais à la différence de Blair Witch, qui s'évertuait (et avec quelle efficacité !) à nous montrer rien de plus que ce que proposait son sujet, à savoir les rushes d'un film perdu, Cannibal Holocaust se fend d'une sorte de mise en abime bien appropriée. Un film dans le film, dont le visionnage du reportage incomplet n'en est que la seconde partie. La première partie de Cannibal Holocaust se situe davantage sur le terrain du film d'aventure pur et dur, partant d'un prétexte digne des canons du genre. Le professeur Monroe, anthropologue, se rend en Amazonie afin de retrouver la trace d'une équipe de reporters ne donnant plus signe de vie. Aidé par l'armée locale et par un baroudeur un brin raciste, il plongera au coeur de l'Enfer Vert où il ne retrouvera de son équipe que des caméras et des cadavres en putréfaction. De retour à New York, il entreprend de visionner le film et peut-être comprendre le désastre. Ce film, nous le verrons en même temps que Monroe et son équipe, et c'est peut être à ce moment que Cannibal Holocaust, qui a déjà livré quelques séquences chocs (dont une punition rituelle assez ignoble), bascule dans l'horreur pure, en suivant les exactions de l'Homme Blanc face aux peuples soi-disants primitifs. A partir de cet instant, rien ne nous est épargné et le spectateur n'a jamais autant mérité son appellation, prisonnier de son voyeurisme. Dedodato, non content d'égratigner toute une profession en la personne de ces reporters prêts à toutes les atrocités pour filmer le sujet du siècle, prend au piège son public en le mettant en face de son appétit morbide. La caméra tremblante devient un oeil impitoyable, imposant la vision complaisante d'un cadavre calciné, d'une tortue dépecée vivante, interminable et véridique séquence qui laisse un lointain goût de bile, ou encore l'incendie pur et simple d'un village autochtone, dans le seul but de montrer une scène de panique. Qui sont les vrais sauvages ? C'est la question que pose Cannibal Holocaust, opposant des rites ancestraux que nos mentalités d'occidentaux trouvent insupportables à des comportements gratuits motivés par la quête du sensationnel. La construction en deux parties du film montre bien ces deux concepts, mettant en parallèle les deux mondes, l'un vivant en harmonie avec la dure loi de la jungle et l'autre violant impunément cette loi avec un esprit conquérant. Ce sont tous les travers humains qui nous sautent au visage avec Cannibal Holocaust. Le voyeurisme, le racisme, la cupidité, l'appartenance exacerbée, l'hypocrisie, symbolisés par quelques scènes antagonistes. L'anthropologue Monroe a compris qu'aussi contestables que soient les habitudes cannibales, elles n'en restent pas moins ancrées dans une croyance et une tradition contre laquelle il ne peut rien. Les quatre reporters pénètrent l'Enfer Vert sans cette compréhension, tentant d'imposer leur suprématie et en subissant les conséquences. La sagesse qui s'oppose à l'appât du gain et à la soif de pouvoir. Une opposition que l'on retrouvera dans les bureaux proprets de New York, où Monroe, contrairement à l'une de ses collègues, s'interrogera sur la nécessité de montrer ces atrocités au public. Un point qui rapproche un peu Cannibal Holocaust du Visitor Q de Takeshi Miike qui dénonçait également certaines attitudes similaires des médias privilégiant le sujet à la manière dont il est traité...

Film polémique, film malsain, film voyeur, faux reportage et vrai choc, Cannibal Holocaust n'en oublie pas de se montrer respectueux de son genre, soignant particulièrement certaines scènes. Les rites cannibales, qu'ils soient fictifs ou non, sont filmés avec suffisamment de minutie pour les rendre plausibles. Cannibal Holocaust bénéficie également d'un thème étrange, mélancolique mélodie qui évoque vaguement Morricone, symbolisant une sorte d'harmonie. Une musique subtile et à double tranchant, qui surgit aux endroits où l'on s'y attend le moins.

Cannibal Holocaust déclencha une multitude de levées de boucliers lors de sa sortie. La SPA, pour les scènes de tortures d'animaux, à laquelle Deodato répondra laconiquement avoir respecté les quotas de chasses locaux. Les tribunaux, lui demandant de prouver que ses acteurs sont bel et bien vivants. Il va sans dire que le film a été censuré dans la plupart de ses pays d'exploitation, voire purement et simplement interdit. L'édition Uncut permet de re-découvrir Cannibal Holocaust. Une fois encore, ce film est violent, très violent. S'y enchaînent punitions sexuelles, avortement barbare, amputations diverses... Il n'en reste pas moins un film au message fort et une analyse de moeurs assez extrême dont l'Homme ne sort pas grandi.

Cannibal Holocaust malgré ses frasques judiciaires eut une influence indéniable sur certaines productions de l'époque, dont le Cannibal Ferox d'Umberto Lenzi est l'exemple le plus flagrant. Le plus intéressant reste également de voir l'impact de ce film sur des productions n'ayant rien à voir avec le cannibalisme (nous verrons ainsi surgir un Zombie Holocaust dont le rapport avec Dédodato n'est que dans le titre) ou même rien à voir avec l'horreur. Personellement, j'y ai revu des images ou des thématiques aperçues dans Territoire Comanche (Gerard Herrero), drame narrant les aventures d'une équipe de reporters de guerre en plein conflit yougoslave.
Pour finir, si j'insiste volontiers sur le fait que Cannibal Holocaust n'est pas aussi atroce que le veut sa légende , il n'en reste pas moins interdit aux moins de 18 ans, et cette interdiction est justifiée...