7/10Bohemian Rhapsody

/ Critique - écrit par Jade, le 23/11/2018
Notre verdict : 7/10 - The Show Must Go On, 30 ans après (Fiche technique)

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À défaut de raconter Queen à travers leurs albums successifs, Bohemian Rhapsody célèbre la musique de Queen à travers l'histoire de son groupe. Clairement fait par de vrais fans, le film sait épouser les rythmes entraînants de leurs débuts, donner vie aux paroles quasi-niaises de leurs chansons les moins héroïques et le souffle épique de leurs meilleures compositions.

Bloqué dans les limbes du development hell hollywoodien pendant plusieurs années, l'adaptation en film de l'histoire du groupe de rock progressif Queen s'est fait attendre une petite dizaine d'années. Pendant un moment rattaché à l'acteur Sacha Baron Cohen (Borat), quasi sosie du chanteur Freddie Mercury, le projet a plusieurs fois failli ne jamais voir le jour. À la source des tensions : la personnalité sulfureuse du chanteur mort du SIDA au début des années 90, dont la réputation de débauche menait à se demander jusqu'où le souci d'authenticité du film devait être poussé tout en restant grand public. Deux écoles s'affrontaient alors : d'un côté Sacha Baron Cohen, connu pour ne jamais reculer devant les défis les plus trash, cautionnait un script sans aucune concession et donnant vie aux rumeurs les plus folles sur le chanteur. De l'autre, les membres survivants de Queen, qui ne voulaient pas d'une biopic montrant la lente agonie de leur camarade décédé, mais plutôt d'un hommage à leur histoire commune.

Au final exit Sacha Baron Cohen, et, après quelques errements, enter Rami Malek, fraîchement auréolé du succès de la série Mr Robot, et dont une certaine ressemblance avec Mercury n'aura échappé à personne. Un casting très intéressant, et qui, on s'en rend bien vite compte, apporte une dose de fragilité au personnage que l'on aurait été bien surpris de trouver chez Cohen. Le script est adapté en conséquence, et ce que le film perd en rugosité il semble le gagner en humanité.


On l'a dit et redit, mais cela vaut la peine de le souligner une nouvelle fois : les acteurs qui jouent Deacon, May et Taylor sont leurs sosies crachés.

Car évoquer ces controverses c'est déjà rentrer au coeur du sujet : quel rôle donner au personnage de Freddie Mercury dans un film sur Queen (celui de leader, maître compositeur et grande folle tyrannique, ou celui plus mesuré de simple porte-parole du groupe, membre du collectif au même titre que les trois autres), et sur quels aspects de sa vie mettre l'accent ?

Le film, attribué à un Bryan Singer, qui a su s'effacer remarquablement au profit du sujet traité et d'une efficacité dans la réalisation qui fait lui honneur, est bâti sur la réponse à ces questions. Comme Freddie, qui rejette ses attaches familiales dès le début de sa carrière musicale pour se consacrer pleinement à son personnage de scène, comme Queen, dont les membres se refusent à interpréter leurs chansons ou à évoquer leurs racines musicales pour aller toujours là où on ne les attend pas, Bohemian Rhapsody se détourne sciemment des mécaniques profondes du groupe comme de l'homme qui en a été l'âme. Sur le plan factuel, le film est assez dense, mais pour la majeure partie une redite d'éléments que tout fan un tant soit peu au courant connaît déjà. Il refuse obstinément, comme les personnages qu'il dépeint, toute introspection et toute tentative de cohérence psychologique. Le film comme ses héros va de l'avant coûte que coûte.

Un choix intéressant, mais qui peut décevoir dans la mesure où le principe même du biopic est de donner vie à des personnages et non à des événements. Un choix qui ici déçoit d'autant plus lorsque c'est la réalité et les faits qui sont mis de côté pour la dramatisation du film. Occultées, les dernières années du groupe et les enregistrements à Montreux juste avant la mort de Mercury ; exagérée, l'importance de la date du 13 juillet 1985, celle du Live Aid, concert mythique où Queen se produisit pendant 20 minutes devant une foule de 100 000 personnes en délire. La réalité est parfois franchement trahie par les propos du film, qui va par exemple inventer de toute pièce une interview d'un ex-petit ami de Mercury afin d'en faire l'un des méchants presque grand-guignolesques du film. Clairement le parti pris est de ne pas montrer le personnage de Freddy Mercury en situation de faiblesse vis-à-vis de la maladie qui l'a emporté. Une volonté certainement noble de ne pas ternir sa mêmoire auprès du grand public, mais qui se fait ici purement et simplement au détriment de la vérité. L'ironie étant que les derniers clips et albums de Queen permettront à qui en a envie de voir et entendre un Freddie Mercury beaucoup plus proche de ce qu'il était à la fin de sa vie que cette prétendue biographie ne le permet.

Il faut le comprendre vite : Bohemian Rhapsody est en définitive un film qui ne s'encombre pas du souci de coller à la réalité. Ainsi n'est-ce pas une surprise si les moments les plus bateaux (pour ne pas dire ennuyeux) du film sont ceux à vocation dramatique. Reposant bien trop sur les conventions existantes en la matière, la romance qui unit Freddie Mercury et Mary Boyton, la femme à qui il a dédié la chanson "Love of my life", semble être un passage obligé malgré une volonté de faire ressortir ce qu'elle avait d'unique. Une bonne partie des ressorts dramatiques du film suivent le même schéma, même si l'on ressent toujours une volonté de bien faire derrière le peu de place que le script a bien voulu allouer à la cohérence des personnages. J'ajouterais qu'il est de l'apanage des grands réalisateurs de bien faire avec peu, et que Bryan Singer, s'il n'a clairement pas la main sur le projet, arrive tout de même à suggérer beaucoup de choses intéressantes entre deux tentatives peu convaincantes de rapprocher Mercury de ses chansons. Le running gag des membres du groupe qui charient Roger Deacon pour avoir composé le génialement banal I'm in love with my car (je suis amoureux de ma voiture) montre bien que même les scénaristes étaient conscients de la fragilité des bases du script.

Là où le film brille, et ce en grande partie par sa réalisation, c'est dans la manière dont il comprend, canalise et dynamise la musique de Queen dans une fanfare magistrale de plus de 2 heures, terminant en apothéose sur le concert du Live Aid, auquel l'on assiste comme au dernier acte d'un opéra tragique. Electrisé par la reconstitution telle quelle du concert sur une bonne partie de sa longueur, le spectateur assiste au triomphe personnel du chanteur et à la consécration publique du groupe, parachevant la mort inéluctable de Mercury. Le rapport avec la réalité importe alors peu face à la vérité dramatique.

Ainsi, au-delà groupe lui-même, c'est sa musique qui est à la fête, et l'on pourra dire qu'à défaut de raconter Queen à travers leurs albums successifs, Bohemian Rhapsody célèbre la musique de Queen à travers l'histoire de son groupe. Clairement fait par de vrais fans, le film sait épouser les rythmes entraînants de leurs début, donner vie aux paroles quasi-niaises de leurs chansons les moins héroïques et le souffle épique de leurs meilleures compositions.


A défaut de réalisme factuel, le film rend avant tout fidélement la musique du groupe Queen. Ce n'est pas tout, mais c'est déjà énorme.

Conçu avant tout comme une oeuvre grand public, dans une optique de relancer les ventes d'album, diront les plus cyniques, Bohemian Rhapsody est un divertissement pur, une invitation aux néophytes à découvrir Queen et une vigoureuse piqûre de rappel pour les amateurs. Le film refuse de manière quasi explicite le rôle de documentaire et fait avant tout honneur à la philosophie du groupe, reprenant la structure mélodramatique de la chanson éponyme en se l'appropriant, jusque dans ses accents les plus pathétiques et irréels. Néanmoins, ni le génie de l'équipe de tournage, ni le talent des acteurs n'arrivent à faire oublier que derrière l'habillage artistique existe un sujet qui a été traité avec une certaine désinvolture et que l'on était en droit d'exiger un minimum d'authenticité en rentrant dans la salle de cinéma.

La faute certainement à Brian May, Roger Taylor et John Deacon, qui ont tout intérêt à nous jeter encore un peu de poudre aux yeux et à faire vivre le mythe de Queen encore quelques années. Qui s'en plaindra ? Et de la glace artisanale à la fraise servie ici au remake de Requiem for a Dream version boîte de nuits des années 80 que nous promettait Sacha Baron Cohen, avons-nous eu la meilleure des deux options ? Difficile à dire, mais j'aurais tendance à penser que puisque visiblement le compromis n'était pas possible, le film s'en sort avec les honneurs.