9/10Black Swan de Darren Aronofsky

/ Critique - écrit par riffhifi, le 13/12/2010
Notre verdict : 9/10 - Le cygne des quartes (Fiche technique)

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Le cygne noir est un film de pirates des années 40 avec Tyrone Power. Black Swan de Darren Aronofsky n'en est pas un remake. Mais c'est une synthèse saisissante de la filmographie du réalisateur.

Bien qu'il soit régulièrement annoncé comme réalisateur de grosses productions hollywoodiennes (Batman Year One, un remake de RoboCop, la suite de Wolverine), Darren Aronofsky continue à mener sa carrière à son idée, de façon cohérente et au mépris de tout choix commercial. Après avoir contribué au come-back de Mickey Rourke avec The Wrestler, le voici plongé dans le monde du ballet
avec Natalie Portman ; malgré les apparences, les deux films ont beaucoup en commun...

Nina Sayers (Portman) est une danseuse patiente et appliquée, vivant sous la coupe d'une mère ultra-protectrice qui projette sur elle ses rêves de jeunesse. Lorsque le metteur en scène Thomas Leroy (Vincent Cassel) annonce qu'il cherche la vedette de son adaptation du Lac des Cygnes, elle est déterminée à obtenir ce double rôle du Cygne Blanc et du Cygne Noir. Le premier lui est naturel, mais trouvera-t-elle en son âme la dangerosité du second ?

De multiples références peuvent venir en tête à la vision de Black Swan. S'il peut paraître évident de penser aux Chaussons rouges de Michael Powell et Emeric Pressburger, pour son appartenance à la catégorie très pointue des "films de ballet ultra-esthétiques et comportant une couleur dans le titre", les points communs entre les deux apparaissent finalement assez rares. En revanche, deux noms de David émergent régulièrement : Lynch et Cronenberg. Pour la façon de faire surgir le surnaturel dans l'ordinaire, l'hallucination dans la réalité, pour le brouillage de pistes entre les différents niveaux de compréhension, pour l'irruption de la monstruosité dans la beauté, de la mutation incontrôlée...


Le personnage de Nina, quant à lui, évoque irrésistiblement la Carrie de Stephen King : étouffée par une mère qui la pomponne comme une poupée, instrumentalisée par un mentor qui veut en faire un objet sexuel, elle n'a pas la possibilité de devenir une femme. Partager son point de vue durant tout le film est une expérience incroyablement oppressante.

Mais au-delà des influences visibles, Black Swan s'impose surtout comme le digne héritier des précédents opus d'Aronofsky : le ballet y est filmé avec le même soin passionné que le catch dans The Wrestler (l'esthétisme incontestable de la filmographie du réalisateur doit beaucoup au chef opérateur Matthew Libatique), le caractère obsessionnel de l'héroïne n'a rien à envier au personnage de π, l'interprétation du scénario est aussi libre que dans The Fountain, et l'intensité dramatique va crescendo comme dans Requiem for a dream, avec l'aide de la musique composée par Clint Mansell, sur la base évidemment du ballet de Tchaikovsky.

Sulfureux, étrange, fascinant, tragique, ce nouveau film d'Aronofsky devrait achever de convaincre ceux que les précédents avaient rebutés, trouvant Requiem for a dream trop insoutenable, The Fountain trop abscons et The Wrestler trop... consacré au catch ! Mais peut-être lui faudra-t-il, comme Christopher Nolan, passer par la case "blockbuster reconnaissable" pour obtenir la reconnaissance du grand public. Gageons qu'il ne perdra pas son âme en cherchant son cygne noir.