8/10First Man: petit pas et grand bond

/ Critique - écrit par Hugo Ruher, le 18/10/2018
Notre verdict : 8/10 - Un film intime sur une épopée historique (Fiche technique)

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Le premier homme à marcher sur la Lune... On a l'impression que c'est un événement qu'on a tous un peu vécu, même si ça s'est passé avant notre naissance. Il faut dire qu'il s'agit d'un des événements majeurs de l'Histoire du XXème siècle. Alors quand il s'agit d'en faire un film, le pari est risqué, très risqué. Mais First Man le remporte haut la main.

Un film biographique sur Neil Armstrong. En apprenant ça, on peut raisonnablement se demander combien de fois ça a été fait auparavant, combien de fois la vie du premier homme sur la Lune a été adaptée, décortiquée, revisitée. Et bien en fait, jamais. 50 ans après ce fameux grand bond pour l'Humanité, on ne retrouve finalement que très peu de choses.


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Il faut dire qu'il y avait beaucoup d'obstacles à franchir, à commencer par Armstrong lui-même. Le "First Man" est resté très discret tout au long de sa vie, il a toujours refusé de devenir le porte-parole de la NASA, il n'a fini par accepter qu'en 1999 qu'il y ait une biographie officielle de lui. Biographie écrite par James R. Hansen, qui sert d'ailleurs de base au film.

Autre obstacle: l'histoire elle-même. Le premier homme sur la Lune c'est quasiment un conte de fée, un mythe intouchable avec lequel il faut être extrêmement prudent. Surtout si on rajoute à ça le patriotisme américain qui va avec. Patriotisme qui a même fait dire à certains républicains que le film n'était pas assez pro-américain. En plus de ça, le biopic est un genre souvent malmené. Un destin extraordinaire n'arrive pas à faire un bon film si la mise en scène ne suit pas. On se souvient (ou pas justement) de la Môme, Ray, ou Walk the line. Des films corrects mais qui ne permettent pas d'aller plus loin que leur sujet.

Et enfin, le film spatial on commence à connaître. D'Apollo 13 à Gravity, en passant par Armageddon, Interstellar, ou même dans un autre registre 2001: l'Odyssée de l'espace, on a déjà vu mille fois ces astronautes héroïques, ces images de fusées qui décollent dans une glorieuse explosion, ces inévitables soucis techniques résolus grâce au savoir-faire humain. Bref, pour passer au-delà de tout ça, il faut du lourd.

Heureusement, Universal a sorti le grand jeu. D'abord au scénario pour adapter le livre de Hansen, on a Josh Singer, qui a remporté un oscar pour Spotlight et dont le travail sur Pentagon Papers avait déjà été salué. Au casting, la star cinq étoiles du moment, Ryan Gosling, et Claire Foy qui a brillé dans la série The Crown en incarnant la reine Elizabeth II. Et puis surtout, il fallait un réalisateur et c'est Damien Chazelle. Pari risqué là encore pour le jeune prodige, parce que c'est la première fois qu'on lui confie un film dont il n'avait pas signé le scénario. On pourrait donc craindre un film de commande, loin de Whiplash et La la land qui avaient fait de lui le phénomène d'Hollywood.


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Mais alors après tout ça, qu'en est-il du film lui-même ? Et bien les toutes premières minutes nous rassurent. On est plongé au coeur d'un cockpit lors d'un vol extra-atmosphérique. Oubliez Top Gun et sa musique cool (enfin à l'époque). Ici, tout est violent à couper le souffle. La caméra tremble dans tous les sens, le son des moteurs et des vibrations est assourdissant, on manque d'air dans ce si petit espace et aucun plan d'extérieur pour venir aérer tout ça. En quelques minutes Damien Chazelle laisse le spectateur déjà lessivé, très loin des plans léchés et stabilisés de Whiplash et surtout La la Land. Jamais un vol n'avait été filmé comme ça.

Après ça, on enchaîne avec des scènes plus intimes d'Armstrong et de sa famille. C'est là qu'on se rend compte de deux choses. D'abord, l'image. Chazelle a choisi de tourner en 16mm et de maintenir un gros grain à l'image. Ca, plus une caméra au poing donne un aspect documentaire beaucoup plus proche des personnages. En plus de provoquer un léger malaise avec une image très brut, complètement opposée aux beaux plans bien nets qui accompagnent souvent les films qui parlent de l'espace.

Et deuxième chose : le scénario ne va pas se contenter de suivre la préparation d'Armstrong jusqu'au fameux voyage, mais va davantage se concentrer sur sa vie de famille. Un choix audacieux qui aurait pu verser dans le mélo mais Singer arrive à trouver un équilibre qui permet au récit de rester cohérent et d'éviter les violons dans plusieurs scènes qui auraient pu pourtant tomber dedans.

C'est là qu'il faut saluer la performance des acteurs. Ryan Gosling est impeccable comme d'habitude, mais on sent qu'il maîtrise bien les rôles de taiseux discrets, donc pas de surprise de ce côté-là. En revanche, Claire Foy crève l'écran à chacune de ses apparitions. Son jeu entre force et sensibilité donne à ses scènes une toute autre saveur. Son rôle de femme au foyer dédiée à son glorieux mari aurait pu être effacé mais il n'en est rien et l'actrice confirme qu'elle va être celle sur qui il va falloir compter dans les années à venir.


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Au fur et à mesure du film on se rend compte de toute la justesse de la mise en scène de Damien Chazelle. En mettant en parallèle la vie intime de Neil Armstrong et son avancée progressive vers un voyage lunaire, il dynamite tout ce qu'on attend d'un film de ce genre. Ici, vous ne verrez pas de jeune Neil rêveur face à la Lune et rêvant d'y accéder. Pas non plus de beaux plans de fusées majestueuses. A la place, on assiste à un décollage à travers une vitre poussiéreuse, la caméra s'attarde sur les néons qui menacent de tomber, sur la carlingue austère des engins, sur les compteurs qui s'affolent à la moindre turbulence. Rien de beau là-dedans, juste des risques insensés, des deuils, de la violence.
Un désenchantement qui est complètement contre-balancé par les images de la Lune. Désolé pour le spoiler mais tout de même, elle est sur l'affiche... Pour les scènes lunaires, Damien Chazelle troque son 16mm pour des caméras Imax qui changent radicalement l'image. La Lune apparaît comme un paysage à la fois désolé et magnifique avec une photo incroyable. Un choix qui n'est pas uniquement esthétique mais justifié par le récit et la trajectoire du personnage principal. D'ailleurs, les dernières minutes montrent à quel point le scénario a été bien construit depuis le début, et les pièces s'emboîtent entre les passages intimes et professionnels.


First Man est un bel exemple de ce qui arrive quand on laisse un réalisateur aux manettes d'un film bien écrit, tout en lui permettant d'y incorporer sa personnalité. Un mélange qui permet d'aller au-delà de la simple "belle histoire vraie" dont se contentent bien souvent les producteurs.